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Guide du Jeu Vidéo

L’histoire d’Electronic Arts : le jeu vidéo et l’Amérique

Du sport, des bagnoles et des flingues : résumer ainsi l’histoire d’Electronic Arts serait pour le moins réducteur, voire malhonnête. Les quarante ans de success story entrepreneuriale, qui ont vu cette petite entreprise aux dents longues devenir numéro un de l’industrie, ont été jalonnés de coups de génie marketing, d’expérimentations innovantes - et polémiques - autour des modèles économiques, d’immenses succès critiques et commerciaux mais aussi d’échecs cuisants et de déconvenues publiques et financières. Retour sur l’histoire de l’un des acteurs majeurs de l’industrie du jeu vidéo.
Maxence Jacquier
Par Maxence Jacquier
Journaliste
Contenu mis à jour le
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Un éditeur au service des « artistes »

En 1982, Trip Hawkins démissionne de son confortable poste de directeur marketing d’Apple pour fonder Amazin’ Games. Le jeune homme de bonne famille, passé par Harvard et Stanford, estime le marché suffisamment mature pour concrétiser un rêve né dix ans auparavant, lors de sa première rencontre avec la micro-informatique : créer des jeux vidéo. Rejoint par deux anciens collègues d’Apple, il lance finalement son projet sous le nom d’Electronic Arts, en mai de la même année. 11 salariés, 5 millions de dollars de capital et un objectif emprunt d’une certaine noblesse : rendre visible le travail des développeurs de jeu.

1982, 2006 : un logo toujours bien ancré dans son époque

À la création d’outils dédiés au développement et à la volonté farouche de se passer des canaux de distribution classiques, Electronic Arts ajoute une vision toute personnelle du marketing, qui met en avant les créatifs. Jaquettes artistiques, publicités iconoclastes affichant la tête des concepteurs et conceptrices : reprendre les codes de l’industrie du divertissement, sur un secteur historiquement lié à celui du logiciel, fait rapidement ses preuves. Autre point clé : EA occupe tous les terrains possibles dès son arrivée sur le marché. Apple II, Amiga, Atari 800, Commodore 64, ZX Spectrum… tout ce que l’Amérique du Nord compte de micro-ordinateur est ciblé par l’entreprise. Et cela paie.

La publicité selon Electronic Arts, en 1983 : « un ordinateur peut-il vous faire pleurer ? »

La publicité selon Electronic Arts, en 1983 : « un ordinateur peut-il vous faire pleurer ? »

Dès 1984, EA dépasse le million de ventes avec Music Construction Set, un outil de MAO (musique assistée par ordinateur) rudimentaire conçu par l’ingénieur Will Harvey. C’est à cette époque que Trip Hawkins active le deuxième levier de sa stratégie marketing, toujours crucial aujourd’hui pour l’entreprise : les licences sportives. Entamées dès 1984, les discussions avec le célèbre entraîneur de football américain John Madden ne se concrétiseront que quatre ans plus tard, mais des partenariats sont noués avec certaines des plus grosses stars de leurs disciplines respectives, comme Garry Kasparov pour les échecs ou Larry Bird pour le basket. Succès garanti, aux États-Unis mais aussi en Europe, où l’american way of life fait encore rêver.

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De grands débuts sur console

À la fin des années 80, Electronic Arts devient le premier éditeur américain, devant son (futur) concurrent éternel Activision. Sur tous les fronts, EA lance son premier jeu développé en interne, Skate or Die!, et sa filiale anglaise EOA. Sa volonté de se diversifier au maximum prend un nouvel élan avec l’arrivée de la Mega Drive. À l’aise techniquement, l’éditeur mise beaucoup sur la 16 bits de SEGA, et cela paie : entre 1989 et 1994, le chiffre d’affaires d’Electronic Arts progresse de 60 % chaque année, tandis que pas moins de 35 % des jeux de la console sont signés par l’entreprise californienne.

Madden sur Mega Drive : une prouesse technique et un grand succès commercial

Madden sur Mega Drive : une prouesse technique et un grand succès commercial

Il faut dire que Nintendo, conscient de freiner la distribution de jeux sur ses machines du fait de sa politique – un jeu sur Nes ne pouvait exister sur une autre machine – change son fusil d’épaule et autorise tout le monde à publier des jeux sur sa nouvelle console. Déjà omniprésent sur Mega Drive, EA se voit offrir un nouveau terrain de jeu avec l’arrivée de la Super Nintendo. Le tremplin est immense : 74 % du chiffre d’affaires d’EA vient des ventes réalisées sur les machines de Nintendo et SEGA en 1993. En interne, tout le monde ne voit pas ce revirement idéologique d’un bon œil : les consoles sont jugées moins nobles que les micro-ordinateurs par nombre d’ingénieurs, et EA subit une vague de départ au début de la décennie. Qu’importe, EA voit l’avenir avec une grande sérénité.

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It’s in the game

Le grand succès de la série de jeux Madden et la prometteuse licence NHL incitent Electronic Arts, en 1991, à créer son célèbre label EA Sports, dont la voix-off résonne encore dans la tête des adolescents des années 90 et 2000. C’est dans ce cadre que sont signés les partenariats suivants : FIFA, NBA, NCAA, NHL, MLB, Nascar, PGA, UFC, F1 ou encore WRC viennent garnir une offre sportive pléthorique, qui n’oublie pas le cricket ou le rugby. Avec EA Sports, l’éditeur dispose d’une entité puissante, aussi aimée du public que crédible auprès des institutions et sportifs qu’elle souhaite toucher.

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De 1993 à 2023, Electronic Arts a vendu plus de 325 millions de jeux de football

D’un autre côté, les contacts noués en Europe, notamment avec le studio Bullfrog de Peter Molyneux, accouchent de titres majeurs qui assoient sa réputation, comme Populous ou Syndicate. Seule ombre au tableau : le partenariat avec 3DO, entreprise également fondée par Trip Hawkins suite à son départ d’EA, est un gouffre pour l’éditeur. Les jeux coûtent cher à produire sur cette machine puissante, dont le prix de vente élevé – 700 $ de l’époque, soit environ 1500 $ d’aujourd’hui en prenant en compte l’inflation – la prive d’un vrai succès populaire. Tout ce que touche Electronic Arts ne se transforme pas nécessairement en or.

Assimiler pour mieux régner

Son ascension n’en demeure pas moins irrésistible, ce qui incite ses dirigeants à poursuivre sans relâche la recherche de licences lucratives, nouvelles comme existantes. C’est dans cette optique que sont réalisées plusieurs acquisitions et créations de studios notables, entre 1995 (Bullfrog) et 2007 (BioWare). Maxis (SimCity puis les Sims), Westwood (Command & Conquer), Danger Close (Medal of Honor), Criterion (Burnout puis Need For Speed), DICE (Battlefield) ou encore Mythic Entertainment viennent grossir les rangs du géant californien, avec leur lot de grands succès et de titres plus confidentiels.

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En plus de sa jaquette magnifique, Populous (Bullfrog, 1989) a créé un genre : le “god game”

Couplée à de nouveaux partenariats d’envergure – Harry Potter, Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, Hasbro – cette dynamique consacre Electronic Arts comme l’un des trois principaux éditeurs-tiers de la planète, et même le numéro 1 entre 2001 et 2004. EA entend bien maximiser son contrôle – et ses profits – en disposant d’un maximum de compétences en interne, sur la partie administration et marketing, mais surtout au niveau développement technique et créatif. Une stratégie qui coûte cher, mais qui rapporte gros.

En 2007, John Riccitiello succède à Larry Probst à la tête d’Electronic Arts, ce qui marque un tournant stratégique pour l’éditeur. Si les métriques restent en hausse, la qualité des jeux semble baisser : Riccitiello réorganise l’entreprise autour de quatre piliers, persuadé que l’autonomie que cela garantit aux studios nouvellement acquis ou créés se traduira par un sursaut créatif. « Si vous pensez qu’il suffit d’acheter un studio et de mettre son nom dessus… vous faites une grosse erreur » confiera-t-il lors du DICE Summit de 2008.

La crise économique et financière de 2008, gros coup d’arrêt pour Electronic Arts

La crise économique et financière de 2008, gros coup d’arrêt pour Electronic Arts

Partagés entre les labels EA Sports, EA Games, The Sims et EA Casual, les studios sont censés bénéficier du soutien économique de la maison-mère tout en conservant leur culture propre. L’objectif ? Éviter de reproduire les erreurs commises avec les studios Bullfrog et Westwood, respectivement fermés en 2001 et 2003. Les résultats se font attendre, tandis que se profile la crise économique et financière mondiale de 2008. EA décide de licencier à grande échelle : 600 personnes prennent la porte en 2008 et encore 1500 en 2009, soit respectivement 11 et 17 % de ses forces vives. Les actionnaires sont satisfaits, moins les employés contraints de trouver une nouvelle terre d’accueil pour leurs savoir-faire.

EA, qui vise toujours la première place, s’est pourtant fait dépasser sur son flanc par son meilleur ennemi : Activision fusionne en 2007 avec Vivendi Games, qui possède Blizzard Entertainment, devenant l’incontournable numéro 1 du secteur. Pour se mettre à niveau, Electronic Arts approche Take-Two, dont la poule aux œufs d’or Grand Theft Auto pourrait remettre l’éditeur au niveau de son concurrent direct. Les 2 milliards de dollars proposés sont jugés insuffisants par le directoire de Take-Two, qui connaît de grands bouleversements à cette période. EA ne rattrapera jamais son rival.

Project 10 dollars

Témoin et acteur des mutations en cours dans l’industrie du jeu vidéo, notamment de l’explosion du casual gaming sur les réseaux sociaux et les smartphones, Electronic Arts cherche de nouveaux moyens de rentabiliser ses productions. Le « Project 10 dollars » marque la volonté d’EA de couper l’herbe sous le pied des revendeurs de jeux d’occasion : l’éditeur ne fait aucun bénéfice sur la revente en seconde main, et cela doit changer. Plusieurs solutions sont apportées pour inciter les consommateurs à faire l’acquisition de jeux neufs, ou au moins à ajouter au pot une fois ceux-ci obtenus d’occasion. Un coupon pour un contenu supplémentaire, un mode multijoueur accessible via un code… tous les moyens sont bons pour faire baisser la valeur d’un jeu une fois la boîte ouverte, donc de maximiser son chiffre d’affaires au-delà de sa sortie initiale.

Quand les qualités d’un jeu sont éclipsées par son modèle économique : Star Wars Battlefront II

Quand les qualités d’un jeu sont éclipsées par son modèle économique : Star Wars Battlefront II

Parfois un peu cyniques ou mal conçus, ces ancêtres des « passes saisonniers » qui sont monnaie courante aujourd’hui passent mal auprès de la communauté. La levée de bouclier d’une partie de la presse et du public est importante, mais le résultat ne se fait pas attendre : 

les DLC et microtransactions qui constellent les productions Electronic Arts à partir de 2010 rapportent gros, avec 1 milliard de dollars de revenus sur le dématérialisé pour l’année fiscale 2010-2011. Sur sa lancée, EA lance Origin en 2011, sa plateforme de jeux sur PC qui fait directement concurrence à Steam : pas question de donner 30 % de ses recettes à un tiers contre un peu de visibilité. Las, EA fera machine arrière en 2019 en réintégrant ses jeux à la plateforme de Valve. Le manque à gagner était vraisemblablement trop grand.

Le paria se fait plus discret

Licenciements, fermeture de studios, pratiques commerciales douteuses, qualité des jeux discutée : élue « pire entreprise américaine » par Consumerist en 2012 (une sorte d’équivalent à UFC Que Choisir), Electronic Arts enchaîne les polémiques à cette période : la lutte contre le marché de l’occasion donc, mais aussi la fin de Mass Effect 3 ou encore les loot boxes, ces « coffres mystères » qui renferment des objets virtuels potentiellement rares monnayés quelques euros. À l’occasion des sorties conjuguées, fin 2017, du FPS multijoueur Battlefront II et de FIFA 18, tous deux truffés de ces mini-loteries, la coupe est pleine : la justice belge se saisit du sujet, et l’éditeur est interpellé par nombre d’associations de protection des consommateurs.

Chahuté médiatiquement, Electronic Arts voit son chiffre d’affaires augmenter substantiellement sur les dix dernières années

Chahuté médiatiquement, Electronic Arts voit son chiffre d’affaires augmenter substantiellement sur les dix dernières années

Fidèle à sa ligne de conduite, Electronic Arts poursuit l’exploitation de ses licences et partenariats lucratifs : FIFA 18 atteint des records avec plus de 28 millions d’exemplaires vendus, tandis que la sortie surprise du battle royale free-to-play Apex Legends réunit, début 2019, pas moins de 50 millions de joueurs et joueuses en quelques semaines seulement. De l’autre côté du spectre, le jeu-service Anthem, censé incarner le renouveau du prestigieux studio BioWare, est un échec commercial pour son éditeur. 2 millions d’exemplaires vendus tout de même à son lancement, pour la première licence majeure d’Electronic Arts depuis une dizaine d’années. Insuffisant pour que soit tenue la promesse d’alimenter régulièrement le jeu en contenus après sa sortie ; le projet est définitivement abandonné en 2021, deux ans à peine après sa mise sur le marché.

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Anthem et Apex Legends : deux jeux service au destin radicalement différent

Autre déconvenue : EA perd l’exclusivité Star Wars en 2023, et malgré le succès relatif du MMORPG The Old Republic, ce sont tout de même 52 millions de jeux vendus et plus de 3 milliards de dollars de revenus générés par la licence phare de Disney au fil de ce partenariat au long cours. Le jeu mobile gratuit Star Wars: Galaxy of Heroes serait, à lui seul, responsable d’un tiers de ce chiffre d’affaires. Terrain d’expérimentations immense sur le plan des modèles économiques, le jeu mobile rapporte gros, en toute discrétion puisque son public – dit occasionnel – se veut moins vocal que les gamers sur PC et consoles.

Une page s’est tournée en 2023 : après trente ans de collaboration fructueuse, Electronic Arts a décidé de ne pas renouveler son partenariat avec la FIFA. L’économie ainsi réalisée serait de 250 millions de dollars par an, pour un manque à gagner éventuel difficile à chiffrer pour le moment. L’absence de concurrence sérieuse, suite à la débâcle de Konami avec sa licence Pro Evolution Soccer, a probablement poussé EA à tenter le coup : le jeu est-il plus fort que la licence ? Les premiers retours, notamment sur le marché britannique, indiquent des ventes inférieures de 30 % par rapport à l’édition précédente. Léger effet de rebond dû aux qualités intrinsèques du jeu ou véritable désintérêt pour le Football Club d’EA, pourtant promu à grands frais par son éditeur ? Réponse dans quelques années, quand l’échantillon sera suffisant pour élaborer une analyse crédible.

Conclusion : de prédateur ultime à proie consentante ?

Quel avenir pour Electronic Arts ? La multinationale gloutonne, reine des années 90 et 2000, a remisé ses ambitions de domination. EA, qui possédait près de 20 % d’Ubisoft et convoitait Take-Two au cœur des années 2000, est aujourd’hui prêt à se faire absorber. Ses comptes sont au vert et ses prises de risques minimales depuis quelques années, tandis que des noms comme Disney, Apple, NBC ou encore Amazon ont été avancés parmi les repreneurs potentiels. D’un autre côté, le très actif Fonds d’Investissements Public saoudien en détient désormais 10 %, alors que les restrictions du gouvernement chinois pourraient pousser Tencent à s’affirmer encore davantage hors de son marché domestique. Sauf retournement de situation, Electronic Arts devrait – d’ici 2026 – connaître une nouvelle évolution majeure dans son histoire riche et passionnante.

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FAQ

Quels sont les principaux studios fermés par Electronic Arts ?
La politique d’acquisition massive d’Electronic Arts depuis plus de trente ans a fait passer nombre de structures dans son giron, dont certaines ont ensuite été fermées par l’éditeur américain : Bullfrog (Populous), Danger Close (Medal of Honor), Black Box (Skate), Mythic Entertainment (Warhammer Online), Origin Systems (Ultima), Westwood (Command & Conquer) ou encore Pandemic Studio (Mercenaries) ont ainsi fermé leur porte. Plusieurs studios internes majeurs, comme Visceral Games (Dead Space) ou EA Bright Light, ont également subi le même sort. La liste complète est disponible ici.
Quelles sont les licences les plus vendues d’Electronic Arts ?
FIFA est incontestablement la licence la mieux vendue d’EA, avec plus de 325 millions d’exemplaires écoulés en trente ans. Les Sims en comptent plus de 200 millions (4 jeux et beaucoup d’extensions), Need for Speed 150 millions (plus de 25 jeux), Madden 130 millions, Battlefield 90 millions et NBA Live pas moins de 35 millions. Côté revenus, Apex Legends aurait généré entre 2 et 3 milliards de dollars et Star Wars: Galaxy of Heroes plus de 3 milliards.
Quels sont les principaux actionnaires d’Electronic Arts ?
Electronic Arts est principalement détenu par des fonds d’investissements : le Fonds d’Investissement Public d’Arabie Saoudite possède 9,2 % des parts d’Electronic Arts, juste devant le groupe Vanguard (9,1 %). Suivent BlackRock (2,5 %) et Geode (2 %). 
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