Qui est Activision Blizzard, l’éditeur qui pourrait changer le destin gaming de Microsoft ?
Activision : une approche industrielle chevillée au corps
L’émancipation avant tout
Dans les années 70, on ne parle pas encore beaucoup d’éditeurs tiers – créateurs de jeux qui ne fabriquent pas eux-même leur propre console – et encore moins de studios de développement indépendants. Déçus du manque de reconnaissance et de retombées économiques de leurs productions au sein d’Atari, quatre programmeurs décident de fonder leur propre société. Activision naît en 1979, et s’attelle à la production de nouveaux titres pour l’Atari 2600, sur laquelle ses fondateurs œuvraient déjà par le passé. Rapidement, cette jeune équipe ambitieuse décide d’étendre son champ d’action, alors même que le marché du jeu vidéo commence à se contracter.
Porté par le succès de Pitfall, l’un des premiers jeux de plateformes à voir le jour à sa sortie en 1982, Activision entame une grande période de rachats et de fusions. Bien aidée par la crise du secteur en 1983, la société se rapproche de nombreuses structures plus modestes comme Infocom, spécialiste du jeu d’aventure alors menacé de fermeture. Dans la même optique, Activision vise le marché des logiciels professionnels, jusqu’à changer de nom pour mieux refléter ce nouvel appétit. Renommé Mediagenic en 1988, le nouvel Activision est un échec : à l’orée des années 90, ses comptes sont dans le rouge et la banqueroute n’est pas loin.
Les choses sérieuses commencent
Dans le rouge, Mediagenic/Activision se fait discret. Déjà proche du milieu du jeu vidéo, l’affairiste Robert Kotick rachète, avec trois autres investisseurs, l’ensemble pour quelque 500 000 dollars en 1991. Son objectif est de profiter de la réputation acquise avec Pitfall pour faire d’Activision l’un des acteurs majeurs de l’industrie du jeu vidéo, qui commence à se structurer un peu partout sur la planète. La restructuration qui s’ensuit laisse plus de 140 personnes sur le carreau, Kotick ne gardant que 8 employés pour repartir d’une feuille blanche.
Grâce aux actifs d’Activision, dont les licences d’Infocom, il parvient à remettre l’entreprise sur pied et séduire les investisseurs pour son entrée en bourse, en octobre 1993.
Une suite au Mechwarrior de 1989, un jeu basé sur la licence Heavy Gear, des Interstate 76’ et Battlezone qui font leur nid : Activision reprend des couleurs sous l’impulsion d’un dirigeant qui privilégie le rendement aux sentiments. Entre 97 et 2008, Activision enchaîne les créations de studios et les rachats : Raven Software, Neversoft, Infinity Ward, Treyarch, Gray Matter Studios, Red Octane ou encore Toys for Bob rejoignent ainsi le giron de l’entreprise américaine, devenue tentaculaire.
L’appétit de Bobby Kotick et de sa créature n’a pas de limite, d’autant que les succès s’enchaînent. Activision récupère la licence James Bond mais est surtout derrière le nouvel âge d’or du jeu musical, avec la sortie de Guitar Hero en 2006, avant d’écrire une nouvelle page du FPS en ligne avec Call of Duty 4: Modern Warfare, qui s’écoule à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde.
Entre-temps, l’impitoyable CEO de l’entreprise est entré en contact avec les français de Vivendi, qui galèrent un peu économiquement avec leur branche d’édition de jeux vidéo, Vivendi Games. Ce que convoite l’américain, c’est surtout la poule aux œufs d’or du géant français : Blizzard Entertainment, dont le MMO World of Warcraft génère plus d’un milliard de dollars par an avec son abonnement.
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Blizzard, un PC pour les gouverner tous
Silicon & Synpase, qui deviendra Blizzard Entertainment en 1994, voit le jour en 1991 sous l’impulsion de trois étudiants en fin de cursus. D’abord consacrée au portage de jeux (notamment pour Interplay), l’entreprise développe ses premiers titres en 1993 : Rock’n Roll Racing et The Lost Vikings sont leurs premiers succès.
Le studio est racheté l’année suivante pour près de 7 millions de dollars par le distributeur Davidson & Associates : une consécration pour les trois fondateurs, qui avaient investi chacun 10 000 dollars dans l’aventure au départ.
Ce n’est en fait que le début de l’aventure. Fort de 25 développeurs ambitieux, le studio enchaîne ensuite les immenses succès : dans le STR en 1994 avec Warcraft tout d’abord, dont la suite s’écoule à plus d’un million d’unités sur PC l’année suivante, ce qui est très rare à l’époque. Suivent le hack’n slash Diablo et le jeu de stratégie Starcraft, qui connaîtront chacun plusieurs suites couronnées de tout autant – voire davantage – de succès. Blizzard est racheté par Havas en 98, lui-même absorbé par Vivendi la même année : le studio change de main sans que cela n’affecte ses résultats.
L’entreprise prépare même une nouvelle offensive d’envergure : World of Warcraft, qui voit le jour fin 2004, est une vraie révolution dans le monde du jeu de rôle en ligne massivement multijoueur. Le succès est aussi immédiat que retentissant : des millions d’abonnés arpentent chaque jour les plaines d’Azeroth, d’autant plus motivés par le contenu haut niveau et les nouvelles extensions qui voient régulièrement le jour. C’est fort de cette manne financière, doublée d’une réputation à peine entachée par les retards permanents sur le planning de ses productions, que Blizzard Entertainment aborde sa fusion avec Activision.
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Activision-Blizzard, un mariage de raison
La fusion de ces deux acteurs majeurs de l’industrie place instantanément cette nouvelle entité à la première place des éditeurs de jeux vidéo, en tout cas en termes de valorisation et de chiffre d’affaires. Dans les faits, en dehors d’un dégraissage de rigueur pour ce type d’opération financière – la restructuration entraîne la suppression de certains postes qui font doublon – la fusion n’entraîne pas de bouleversements majeurs dans la manière de fonctionner des deux entités, qui opèrent de manière relativement autonome. Pas de raison d’ingérer pour Bobby Kotick, qui a pris la tête de l’entité, tant que Blizzard continue d’engranger des bénéfices avec World of Warcraft et ses autres licences phares. Avec Hearthstone en 2014 puis Overwatch en 2016, Blizzard s’assure même une nouvelle rente qui lui permet d’absorber les pertes occasionnées par le développement du successeur désigné de WoW, appelé Project Titan. Ce dernier ne verra jamais le jour.
De son côté, Activision doit faire face au début des années 2010 à une baisse significative de ses revenus : la vague du jeu musical s’essouffle, et Guitar Hero en fait particulièrement les frais. De plus, la firme californienne doit gérer certains problèmes internes, survenus après un désaccord concernant les royautés reversées au studio Infinity Ward pour les performances, record chaque année ou presque, de la licence Call of Duty. L’éditeur finit par perdre quelques forces vives essentielles, parties chez la concurrence, l’obligeant à jongler avec différents studios pour continuer de proposer son épisode annuel du FPS militaire.
Fermeture de studios, remaniements en pagaille, discours anxiogène de son leader : Activision est aussi aimé des investisseurs que craint par les développeurs, jamais vraiment à l’abri d’une restructuration surprise. Une crainte d’autant plus justifiée que la stratégie apparaît claire : exit les licences sympathiques qui n’offrent pas de rentabilité à long terme comme Crash Bandicoot ou Tony Hawk. Activision ne jure que par le succès à moyen terme, et essore au maximum les quelques licences qu’il daigne encore produire. L’entreprise ne fait par exemple pas de détail lorsque la vague du jeu/jouet, et son fer de lance Skylanders, commence à s’essouffler. Peu de licences, que du très rentable : Activision Blizzard est davantage un projet industriel qu’un cadre d’expression pour les créatifs, coincés entre l’appétit des investisseurs et la menace du licenciement, qui peut arriver au moindre coup dur.
King : le roi du casual gaming
Personne n’est donc particulièrement surpris lorsqu’Activision Blizzard met 5,9 milliards de dollars sur la table pour acquérir King, l’un des leaders mondiaux du divertissement numérique à destination des joueurs et joueuses occasionnels sur mobile et réseaux sociaux. Créé en 2003 en Angleterre par deux entrepreneurs du web, le créateur de l’incontournable Candy Crush Saga prend d’abord la forme d’un portail de jeux, comme il en fleurit à l’époque avant l’arrivée de Facebook. Le réseau social change la donne, et King ne tarde pas à l’adopter pour se mettre à niveau de la concurrence. Zynga et son Farmville sont clairement en ligne de mire : commence alors la quête ultime de la rétention des joueurs, assommés de publicités et d’incitations à la microtransaction dans leur pratique de ces jeux « gratuits ».
King est tristement connu pour son goût pour les copyrights, alors même que certains de ses titres phares sont largement inspirés de jeux existants (Candy Crush ressemble fortement à l’illustre Bejeweled, par exemple). L’éditeur a par exemple déposé les mots Candy et Saga dans le domaine du jeu vidéo, occasionnant une vive réaction de nombreux acteurs, interrogés par le côté très générique des termes concernés. Des accords ont été trouvés au cas par cas, mais l’image de la société a largement été entachée par cette volonté d’appropriation de termes plutôt communs, notamment pour le média jeu vidéo. Rien de bloquant pour Activision Blizzard, qui fait main basse sur tous les actifs de l’entreprise anglaise en février 2016.
Activision Blizzard King, un géant aux pieds d’argile ?
C’est une véritable hydre qui voit le jour avec l’acquisition de King : le réseau tentaculaire du conglomérat atteint plus de 500 millions d’utilisateurs, répartis dans 196 pays différents. Produits de masse sur console avec Call of Duty, public très orienté PC avec les jeux Blizzard et brassage très large sur mobile avec Candy Crush et ses dérivés : rien ne semble pouvoir arriver à ce véritable géant de l’édition. Mais si Microsoft tente aujourd’hui d’en faire l’acquisition, et que les dirigeants d’Activision Blizzard King sont largement favorables à ce rachat, c’est parce que de véritables points d’ombre viennent obscurcir ses perspectives.
D’une part, son top management est fragilisé par sa gestion hasardeuse de certains sujets chauds, comme le sort réservé aux équipes de QA ou les cas de harcèlement en son sein. Bobby Kotick se sait menacé, et un rachat pourrait lui assurer une sortie honorable plutôt inespérée pour le très décrié exécutif. D’autre part, le départ de nombreux développeurs et développeuses historiques chez Blizzard a entaché la réputation du studio, qui paie auprès de sa communauté des choix qui ne lui ressemblent pas, comme le free to play Diablo Immortals ou le modèle hybride d’Overwatch 2. Enfin, King n’est plus l’épouvantail du jeu social qu’il était dans les années 2010, et peine à se renouveler dans un marché toujours plus concurrentiel. La concurrence se fait également toujours plus agressive, notamment en Chine où Tencent et NetEase investissent à tout va.
Activision Blizzard King reste un acteur incontournable de l’industrie du jeu vidéo, et ses récents succès publics le prouvent. Call of Duty Warzone et une véritable machine à cash, World of Warcraft fait de la résistance et la sortie prochaine de Diablo IV s’annonce déjà comme l’un des événements de l’année 2023. C’est notamment ces perspectives réjouissantes qui ont convaincu Microsoft de mettre 70 milliards de dollars sur la table pour s’assurer la rente de tous ces actifs, en plus de renforcer son offre de Game Pass et d’affaiblir la concurrence sur le long terme. Rien d’étonnant donc de voir Sony suer sang et eau pour empêcher l’opération, à laquelle s’intéressent de très près les différentes autorités liées au respect de la concurrence, en Europe comme aux États-Unis.
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