L’histoire de Valve Corporation, le développeur de Schrödinger
Microsoft, vivier de programmeurs talentueux
Quand les programmeurs Gabe Newell et Mike Harrington quittent Microsoft, après plus de 10 ans de bons et loyaux services, c’est pour répondre à une question, formulée par le second des années plus tard au micro de Gamespot : « Chez Microsoft, vous vous demandez toujours ‘est-ce moi qui réussit, ou est-ce Microsoft ?’ ». Nous sommes en 1996, et les deux trentenaires millionnaires font le grand saut pour créer Valve, un studio de développement de jeux vidéo. Si vous vous interrogez sur le choix du nom, sachez simplement que l’on est passé pas loin de vous parler de Hollow Box, Fruitfly Ensemble ou encore Rhino Scar. Valve, c’est pas si mal finalement.
L’électrochoc jeux vidéo de Gabe Newell lui vient de son poste chez Microsoft, alors qu’il est à la tête du portage Windows 95 de Doom, le célébrissime FPS d’id Software. Le bruit court à l’époque que le jeu est installé sur plus de machines que le dernier système d’exploitation de Microsoft. Newell déclare, en 2012 chez Bloomberg « [id] ne distribuait même pas le jeu dans le commerce, ils passaient par des bulletin boards et autres mécanismes pré-internet. Microsoft recrutait plus de 500 commerciaux alors que leur société entière comptait 12 personnes, et pourtant ils avaient créé le logiciel le plus distribué du monde. Un changement radical s’annonçait ». On reparlera de cette histoire de distribution de jeux vidéo, mais un peu plus tard.
Commence alors le développement de la première production de Valve : ce sera Half-Life, un jeu de tir à la première personne – comme Doom, donc – résolument innovant. Fini les monstres en pagaille que l’on dézingue ad nauseam dans des niveaux labyrinthiques, place à un univers immersif et intriguant qui ajoute scénario, exploration et énigmes aux traditionnels combats. Divers événements scriptés remplacent les habituelles séquences cinématiques, dans le but de maintenir une immersion de tous les instants : même lors des séquences narratives, on est toujours aux commandes de Gordon Freeman, le chercheur atone de la base scientifique Black Mesa. En bons programmeurs, Newell et Harrington créent leur outil maison, bien aidés par un ancien collègue à eux, Michael Abrash. Ce dernier a lui aussi quitté Microsoft pour créer des jeux vidéo, chez id Software justement, et leur laisse l’accès à ses outils. Résultat, le moteur GoldSrc utilisé pour Half-Life est une version largement remaniée du Quake Engine, du nom du nouveau FPS des créateurs de Doom, tout juste disponible à l’été 1996.
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La révolution Half-Life
Sorti le 19 novembre 1998 sur PC, Half-Life marque un tournant dans l’histoire du jeu vidéo. Pourtant, Valve n’est pas en confiance sur la fin du développement, comme le raconte le documentaire publié pour les 25 ans du jeu : personne dans l’équipe ne sait si le jeu est réellement bon, et trouver un éditeur s’avère plus compliqué que prévu. C’est finalement Sierra, plutôt spécialisé dans le jeu d’aventure jusqu’alors, qui signera le projet pour son plus grand bonheur : il se vendra près de 8 millions d’exemplaires du jeu, un excellent score pour une exclusivité PC à l’ère pré-internet. À titre de comparaison, il se vend environ 6 millions de Metal Gear Solid à l’époque sur PlayStation.
On ne s’apesantira pas (trop) sur les innombrables qualités du titre, régulièrement cité parmi les plus grands jeux vidéo de tous les temps par les publications prestigieuses. Half-Life est un joyau de mise en scène à la narration incroyablement fluide, son IA impressionne tout comme la variété de ses environnements et de son gameplay… Une version remasterisée par la communauté et adoubée par Valve est disponible sur Steam, si vous souhaitez vous faire une idée de la proposition sous un jour plus moderne. Mais si le jeu est passé à la postérité, c’est aussi et surtout pour sa dimension fortement communautaire.
Ouvert au modding – Valve offre un grand nombre d’outils de création à la communauté – Half-Life sort au début de l’Internet grand public, mais aussi à une période où les soirées réseaux entre amis ont le vent en poupe. Ricochet, Natural Selection, Team Fortress (célèbre mod de Quake au départ), Day of Defeat mais surtout Counter Strike : nourri par une créativité sans limite, le premier jeu de Valve tient également son statut légendaire de cet ensemble foisonnant de contenus, dont certains atteignent une qualité professionnelle au fil des mises à jour. Ce n’est pas un hasard si Valve décide de recruter certains de ces créateurs amateurs pour permettre à plusieurs de ces mods de devenir des jeux à part entière.
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La consécration Half-Life 2
La communauté n’est pas seule à faire vivre Half-Life : Valve mandate Gearbox Software, un studio fraîchement créé par d’anciens de 3D Realms (Duke Nukem), pour réaliser trois extensions, qui viendront compléter le scénario laconique du jeu original. Pendant ce temps, l’équipe principale est déjà au travail sur sa suite, sobrement baptisée Half-Life 2. Orphelin de Mike Harrington, Gabe Newell souhaite une nouvelle fois révolutionner le genre du jeu de tir à la première personne, et dispose des moyens de ses ambitions : un temps et un budget illimités sont alloués aux équipes pour ce nouveau projet.
Le développement sera long et onéreux, si bien que certains qualifient le projet de vaporware à l’époque : 5 ans et environ 40 millions de dollars plus tard, Half-Life 2 voit le jour sur PC en novembre 2004. La baffe est tout autant technique qu’artistique : le Source Engine, développé spécifiquement pour le jeu, s’appuie sur un moteur physique incroyable nommé Havok pour servir une direction artistique exemplaire. La ville de Cité 17, contrôlée par les extraterrestres, est un nouveau terrain de jeu fascinant que Gordon Freeman arpente gravity gun au point : un outil qui lui confère un grand nombre de possibilités de jeu différentes, pour l’exploration comme les combats.
Le traitement scénaristique du jeu déçoit une partie de la communauté et Valve doit faire face à plusieurs problèmes au moment de la sortie du jeu. Entre ses reports consécutifs, la fuite de son code source et l’obligation de disposer d’une connexion internet pour l’installer, Half-Life 2 fait énormément parler. Les versions Xbox 360 et PlayStation 3 qui suivront quelques années plus tard lui permettront tout de même d’atteindre le score plus qu’honorable de 12 millions d’unités vendues, en plus d’un Metacritic au même niveau que son illustre prédécesseur (96 / 100 pour les deux jeux).
Le décollage raté de Steam
Entre-temps, Valve s’est illustré avec Steam, une plateforme protéiforme censée faciliter la distribution de jeux vidéo, mais également leur mise à jour. Un faisceau d’éléments concordants poussent le studio à concevoir un tel dispositif, annoncé en 2002 et mis en route l’année suivante. D’une part, l’ensemble des contenus relatifs à Half-Life est épineux à gérer, et l’idée de réunir en un seul et même lieu les nombreux mods, dont certains sont devenus autonomes avec le temps, est loin de manquer de pertinence. D’autre part, les relations avec Sierra ne sont plus au beau fixe. Racheté par Vivendi, l’éditeur entend marquer son territoire autour de la licence Half-Life, ce qui déplaît fortement à Gabe Newell. C’est d’ailleurs Sierra qui gère le système anti-triche des modes multijoueur d’Half-Life : cela doit changer si Valve veut définitivement s’émanciper de son partenaire.
Cohérent et malin, le concept de la plateforme souffre d’une exécution pour le moins lacunaire. Problème de stabilité, connexion internet obligatoire, fonctionnalités communautaires manquantes ou défaillantes : le lancement est proche de la catastrophe, si bien que nombre de joueurs et joueuses préfèrent avoir recours à des serveurs pirates pour continuer à s’entretuer gaiement sur la version 1.5 de Counter Strike, alors même que la 1.6 est disponible exclusivement sur Steam. Les jeux Valve sont par ailleurs les seuls à être disponibles sur la plateforme, ce qui n’incite pas vraiment la communauté à se saisir de l’outil. Alors quand Valve confirme l’obligation de disposer d’un compte actif pour jouer à Half-Life 2, même si on a fait l’acquisition de la version physique du jeu, la colère gronde.
Malgré cela, la plateforme commence à décoller à partir de 2005. Valve noue des partenariats avec différents éditeurs de jeux pour diversifier son catalogue, permettant de réaliser des profits immédiatement réinjectés dans des fonctionnalités qui font, aujourd’hui encore, la réputation de la plateforme. Sauvegardes dans le cloud, trophées, partage communautaire, clients Mac et Linux, Steam Workshop, avis d’utilisateurs, Liste de Souhaits, application mobile, place de marché interne sans oublier les soldes agressives et régulières : Steam s’installe peu à peu dans les habitudes des utilisateurs et utilisatrices de PC et s’impose comme LA plateforme de jeu sur ordinateur, sans concurrence ou presque malgré les tentatives régulières de ses concurrents. Jamais CD Projekt Red (GOG), Blizzard (Battlenet), Epic (Epic Games Store), Electronic Arts (Origin) ou Ubisoft (uPlay, Ubisoft Connect) n’auront réussi à égaler le maître.
2005 - 2012 : les années folles
Half-Life 2 suit le même destin que son aîné entre mods foisonnants et stand alone créatifs conçus grâce à la distribution gratuite du Source Engine. L’opération séduction Orange Box est un immense succès, tout comme le bac à sable créatif Garry’s Mod. Développés avec le Source Engine, les walking sims Dear Esther et The Stanley Parable renouvellent le genre déclinant du jeu d’aventure. De son côté, Valve ne chôme pas. En dehors des diverses évolutions de sa plateforme et de deux contenus additionnels ajoutés à son titre référence, le studio est à l’œuvre sur un certain nombre de productions, en interne comme en supervision. Les licences Left 4 Dead et Portal voient le jour, Team Fortress 2 réunit une grande communauté en ligne tandis que Counter Strike: Global Offensive, malgré des débuts timides, devient finalement le nouveau mètre étalon du FPS tactique compétitif.
En parallèle de ces victoires, plusieurs polémiques viennent assombrir l’horizon de Valve, et fragiliser la confiance de sa communauté :
- Malgré ses deux DLC, Half-Life 2 n’a pas de conclusion satisfaisante pour nombre de fans. Half-Life 3 ne verra malheureusement jamais le jour pour atténuer cette frustration, malgré 20 ans de rumeurs insistantes.
- Disponible seulement un an après le premier volet du studio Turtle Rock en 2008, Left 4 Dead 2 subit une levée de bouclier communautaire. Suivi par près de 40 000 personnes au départ, le boycott fera long feu sous les coups de boutoir d’un Valve peu avare en nouveaux contenus pour faire accepter cette suite, développée en interne.
- Une fuite massive de données utilisateurs, consécutive à un piratage de Steam, écorne encore un peu plus l’image de l’entreprise en 2012.
- Valve est sous le feu des critiques concernant sa gestion des paris, lootboxes et échanges de skins d’armes autour de sa poule aux œufs d’or Counter Strike: Global Offensive.
Révéré en tant que développeur, Valve l’est beaucoup moins sur le reste de ses opérations. Critiquée pour ses choix et sa communication, l’entreprise connaît dans le même temps une croissance sans précédent de son chiffre d’affaires.
Valve ouvre les vannes
Cette embellie tient avant tout à sa stratégie de centralisation et d’ouverture : le succès de sa plateforme, conjugué à l’émergence d’une offre indépendante pléthorique à partir de 2010, pousse Valve à éditorialiser son offre pour permettre aux meilleurs titres d’émerger. L’initiative Steam Greenlight, qui permet en 2012 à la communauté de voter pour les jeux en développement qui « méritent » leur place sur Steam, s’arrête en 2017 après quelques succès notables, comme Evoland ou Dead Cells, mais aussi quelques polémiques (interface défaillante, troll de la communauté, développeurs peu scrupuleux…) qui ternissent l’image de la plateforme.
Plus obscur, le nouveau système Steam Direct qui le remplace ouvre les vannes : entre 2016 et 2023, le nombre de jeux disponibles chaque année sur Steam a plus que triplé (cf image ci-dessus), ouvrant le chemin à nombre de productions « poubelle », entre contenus pornographiques et titres racoleurs. Valve prend, quel que soit le bien fondé ou le succès du projet, 30 % sur chaque vente et microtransaction. Il confie désormais à ses algorithmes et ses partenariats marketing le soin d’aiguiller un minimum les utilisateurs vers les contenus susceptibles de les intéresser : à 14000+ nouveaux jeux par an, on vous laisse imaginer l’efficacité d’un tel dispositif.
De l’argent, mais pour quoi faire ?
La rente gigantesque permet tout de même à Valve de tenter des coups, notamment côté matériel. Mécontent de Windows 8, Gabe Newell charge ses équipes de peaufiner son système d’exploitation maison basé sur Linux, SteamOS, afin d’en faire un environnement viable dédié au jeu vidéo. L’objectif à demi avoué de chasser sur les terres des consoles se matérialise en 2012 avec la sortie de Big Picture, une interface simplifiée de Steam pensée pour le contrôle à la manette. En 2013, Valve embraille avec les Steam Machines (ou Steam Box), des mini-PC assemblés par des fabricants partenaires et dédiés au jeu, qu’on les relie à un téléviseur classique ou un écran de PC.
Environnement ouvert au bidouillage, machines évolutives et possibilité de streamer les jeux à distance (via un autre dispositif maison, le Steam Link) : l’initiative est cohérente, mais se heurte à des problèmes de coût – les Steam Box sont onéreuses pour des machines uniquement dédiées au jeu – et de développement. La manette censée gérer toutes ces fonctionnalités prend du retard et c’est tout le projet qui capote sans jamais vraiment avoir eu l’occasion de décoller. Valve coupe court à ses envies de « console Steam », transforme le Steam Link en application mobile et se tourne – un temps – vers la réalité virtuelle, nouvelle marotte des technophiles dans la deuxième moitié des années 2010.
L’épiphanie Steam Deck
En 2015, Valve aide HTC à concevoir son casque de réalité virtuelle, le HTC Vive, tout en ajoutant un écosystème VR à sa plateforme Steam. Salué pour ses qualités techniques, le casque est onéreux et peine à s’imposer dans les foyers des consommateurs, mais permet aux ingénieurs de se faire la main. Valve transformera l’essai en 2019 avec le Valve Index. Son propre dispositif de réalité virtuelle est parfaitement mis en valeur par Half-Life: Alyx, nouveau jeu de la série phare du studio sorti en 2020 à la surprise générale. Il aura donc fallu attendre 13 ans pour voir un nouvel épisode d’Half-Life…
Après des années d’expérimentations, d’échecs commerciaux et de tentatives infructueuses de transcender l’univers PC, Valve surfe sur le succès de la Nintendo Switch avec sa proposition maison de console hybride : annoncé sans paillettes en juillet 2021, le Steam Deck voit le jour en décembre de la même année. Cette console portable imposante, tournant sur SteamOS, est compatible avec de nombreux jeux disponibles sur la plateforme. Malgré son autonomie douteuse, l’appareil est un succès éclair pour Valve, qui peine dans un premier temps à assumer les commandes des joueurs et des joueuses du monde entier. Le modèle OLED, annoncé fin 2023, doit couronner cette première victoire indéniable pour Valve côté hardware : plusieurs millions de Steam Deck sont aujourd’hui en circulation, entraînant nombre de concurrents dans son sillage tels que MSI, Lenovo ou Asus.
Conclusion : Valve reste une énigme
Connu pour ses jeux, incontournable pour sa plateforme de distribution et célèbre pour ses incursions plus ou moins heureuses dans l’univers du matériel high-tech, Valve est une entreprise mystérieuse qui n’a pas d’équivalent dans le monde du jeu vidéo. Multimilliardaire sans être cotée en bourse, l’entreprise place l’innovation au centre de ses préoccupations. Largement critiqué, son fonctionnement horizontal – il n’y a pas de manager chez Valve – explique en partie le manque de transparence de sa communication : les projets semblent aller et venir au gré de l’intérêt et de la curiosité des salariés de l’entreprise, sans que le grand public soit toujours conscient des dynamiques internes qui façonnent le destin de l’entreprise. Résolument indépendant et porté par la vision de son patron vénéré Gabe Newell, Valve semble destiné à écrire de nouvelles pages importantes de l’histoire du jeu vidéo. Le studio en a en tout cas les moyens.
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