L’histoire de KRAFTON, le milliardaire inconnu
Le Far-Est du web
Le coréen Chang-Byung-gyu, serial entrepreneur de la tech dans les années 90 et 2000, est déjà un homme riche lorsqu’il fonde Blue Hole, un studio de développement de jeux vidéo établi dans le sud de Séoul. Diplômé en informatique de la Korea Advanced Institute of Science and Technology, il se lance en 1997 avec quelques amis dans la création d’un portail web, Neowiz. Celui-ci facilite le processus de connexion pour le grand public, à une époque où il est encore fastidieux de relier le réseau mondial. L’outil a déjà une petite dimension jeux vidéo, sur laquelle capitalisera complètement l’entreprise qui existe encore aujourd’hui.
Sa première réussite d’envergure est le moteur de recherche Noon, créé en 2005. Revendu un an plus tard pour 36,5 millions de dollars, il place définitivement son créateur sur la carte des entrepreneurs coréens à succès. Après plusieurs projets courts, Chang-Byung-gyu est prêt à investir son argent, son sens des affaires et ses compétences techniques dans une entreprise plus pérenne. Sa prochaine aventure sera de grande envergure.
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Un MMO pour débuter
Visiblement convaincu du potentiel de l’industrie du jeu vidéo, il crée BlueHole Studio en 2007 avec l’ambition de surfer sur la grande vague des MMORPG, dont World of Warcraft est le parangon en Occident. La Corée du Sud n’est pas en reste : Ragnarok Online, Silkroad Online ou encore Lineage II connaissent un bon rayonnement national, certains d’entre eux parvenant même à percer les frontières du Pays du Matin calme. Débuté en 2007, le développement du jeu de rôle massivement multijoueur Tera commence par un esclandre judiciaire : l’éditeur NCSoft accuse BlueHole de lui avoir volé des secrets commerciaux.
Pour créer son studio, Chang-Byung-gyu s’est en effet servi chez son concurrent, en recrutant un certain nombre de développeurs et développeuses à l’œuvre sur Lineage III. Violation du droit d’auteur, détournement de secret commercial, abus de confiance et concurrence déloyale figurent au chapitre des plaintes de NCSoft, qui obtiendra gain de cause sans parvenir à empêcher BlueHole de sortir Tera en Corée du Sud. Le feuilleton se poursuivra aux États-Unis, où là aussi l’éditeur de Lineage tentera d’empêcher la sortie du jeu de son concurrent, sans succès malgré la reconnaissance du préjudice par la justice.
Beta en 2009, sortie coréenne début 2011 puis mondiale l’année suivante : Tera passe rapidement free to play, ce qui lui permet de toucher un très large public. De 1,4 million de comptes en 2013 à 25 millions en 2017, auxquels s’ajouteront quelques 2 millions de joueurs et joueuses console l’année suivante : jusqu’à sa fermeture définitive en 2022, Tera aura su faire valoir ses arguments auprès des amateurs et amatrices de MMO. C’est principalement son gameplay action – le ciblage des ennemis n’est pas automatique, contrairement à la plupart des MMORPG de l’époque – et la personnalisation poussée de ses personnages qui seront valorisés par la communauté pendant les 10 ans d’activité du jeu de rôle massivement multijoueur.
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La bombe du soldat inconnu
Pour Tera, Chang-Byung-gyu a poussé ses équipes à multiplier les heures. Un crunch généralisé, déjà expérimenté à l’époque de Neowiz quand il était étudiant, qui « invite » ses équipes à faire jusqu’à 100 heures de travail hebdomadaire. Une pratique que l’on dénonçait assez peu à l’époque, surtout en Asie : concernant Tera, cette masse de travail considérable a relativement porté ses fruits. Si le MMO n’est pas un immense succès commercial, il permet à BlueHole de se développer. Notamment avec l’acquisition de Ginno Games en 2015, un studio de développement coréen de taille modeste (60 salariés) qui vient d’essuyer un gros échec avec son propre MMO.
Le patron du studio, Kim Chang-han, se voit chargé par BlueHole de créer un jeu complet autour d’un petit concept qui monte, le battle royale. Inspiré par le film éponyme de Kinji Fukasaku mettant en scène Takeshi Kitano, il voit un grand nombre de personnes s’affronter à mort dans un espace de plus en plus restreint. Le dernier en vie est déclaré vainqueur. Pour chapeauter le projet, Ginno Games recrute Brendan “Player Unknown” Greene, un amateur éclairé qui a collaboré sur les premières expérimentations autour de ce concept.
Photographe et designer freelance au Brésil, Greene est fan du mod DayZ pour le FPS militaire Arma 2, dont il créé lui-même un mod multijoueur orienté survie en 2013. DayZ: Battle Royale est le brouillon de PlayerUnknown’s Battle Royale, qui sort l’année suivante sur la nouvelle version du bac à sable militaire de Bohemia Interactive, Arma 3. La renommée de PlayerUnknown dépasse peu à peu le petit monde du modding : Sony Online s’attache les services du développeur irlandais pour sortir une autre version du même concept pour son propre jeu de survie, H1Z1. En quelques années seulement, Brendan Greene s’est imposé comme une véritable pointure d’un genre qui peine pour le moment à dépasser les milieux de bidouilleurs et d’initiés.
Sans PUBG, pas de Fortnite
Un beau jour de mars 2017, après 18 mois de travail intense, PlayerUnknown’s Battlegrounds voit le jour sur Steam. Ce n’est qu’un Accès Anticipé, mais la déflagration est immédiate : le gameplay réaliste et la tension immense qui règne en fin de partie, lorsqu’il ne reste que quelques personnes encore en vie, propulsent un titre pourtant encore bourré de bugs et d’archaïsmes parmi les jeux les plus joués sur la plateforme de Valve, devant des titres comme Counter Strike ou Dota 2.
En six mois, le phénomène dépasse l’entendement, surtout pour un jeu dont la version finale se fait encore attendre : 13 millions de ventes, près de 500 millions de dollars de chiffre d’affaires et 1,6 millions de joueurs et de joueuses connectés simultanément sur le jeu. Un record à l’époque, que PUBG battra ensuite plusieurs fois jusqu’à culminer à 3,26 millions environ, chiffre toujours pas battu pour un jeu payant au moment où ces lignes sont écrites. Les versions consoles et mobile du battle royale le propulsent ensuite encore un peu plus dans la stratosphère vidéoludique : le jeu sera téléchargé plus d’un 1 milliard de fois sur smartphone et tablette, tandis que plus de 75 millions d’exemplaires trouveront preneurs sur Xbox One, PlayStation 4 et PC.
Toute l’intensité, le chaos et le fun de PUBG en un clip
Premier projet commercial à exploiter le concept naissant du battle royale, PUBG est tout simplement le 5ème jeu vidéo le plus vendu de l’histoire. Mais ses revenus ne se limitent pas à ses ventes : entre passes saisonniers et microtransactions cosmétiques, BlueHole s’assure une rente gigantesque tout au long de la croissance de sa poule aux œufs d’or. Au fil des ans, la concurrence s’est largement renforcée. Entre la déferlante Fortnite, la surprise Apex Legends et l’inévitable Call of Duty Warzone, PUBG a été attaqué de toutes parts. Un rythme assez lent, une scène esport qui n’a jamais vraiment décollé et des choix de design critiqués ont fini par éroder sa base de joueurs et de joueuses, poussant son éditeur à réagir pour ne pas voir tarir cette manne financière immense : PUBG passe free to play début 2022, relançant largement l’intérêt du public malgré la présence d’une concurrence plus moderne (+370 % d’utilisateurs, soit 45 millions de nouveaux comptes créés).
Milliardaire en une nuit
Chang-Byung-gyu n’a pas tardé à comprendre le potentiel de son jeu : pour bien structurer ses actifs, déployés partout dans le monde pour encadrer Tera et maintenant PUBG, il crée Krafton Inc. dès 2018. Cette holding bénéficie du soutien financier immédiat de Tencent, qui gère la version mobile de PUBG en Chine et injecte 500 millions de dollars dans la structure. La prochaine étape est donc logiquement son entrée en bourse, qui s’annonce record en Corée du Sud.
Inquiet d’une potentielle survalorisation, le gouvernement empêche Krafton de vraiment titiller Samsung Life Insurance, alors plus grosse entrée en bourse d’une entreprise coréenne : en août 2021, l’éditeur de jeu lève tout de même 3,8 milliards de dollars lors son IPO. En seulement quelques heures, Chang-Byung-gyu devient la 11ème fortune de Corée du Sud. Celui qui souffle à l’oreille du président coréen depuis 2017 a fait partie du voyage historique de ce dernier en Corée du Nord : il est riche et ses avis sur l’industrie du numérique sont écoutés jusqu’au sommet de l’État.
Un après pas si simple
Les quelque 15 milliards de chiffre d’affaires générés par PUBG, dont 10 rien que sur mobile, ont donné à Krafton des envies de grandeur. Outre les bureaux américains, européens et japonais ouverts pour gérer les opérations courantes autour de PUBG, l’éditeur a créé ou fait l’acquisition d’un certain nombre de studios à travers le monde. L’annonce qui a fait le plus de bruit est celle de Striking Distance, studio américain monté par l’homme derrière la licence Dead Space, Glen Schofield.
Censé se dérouler dans le même univers que PUBG, le jeu d’horreur The Callisto Protocol est un échec critique et commercial qui poussera Krafton à licencier, et même Schofield à partir. On espère un destin moins funeste pour Unknown Worlds Entertainment : racheté en 2021, le développeur responsable des excellents Natural Selection et Subnautica travaille sur la suite de son jeu d’exploration et de survie sous-marine, prévue pour 2025. Outre les studios dédiés au jeu vidéo sur mobile RisingWings (casual) et Dreamotion Inc (gamers), Krafton a largement investi en Inde, où PUBG Mobile est extrêmement populaire malgré quelques problèmes avec la censure locale.
Une application d’IA conversationnelle en Corée et au Japon, de petits jeux sortis discrètement sur Steam, un studio à Montréal sur un projet mystérieux : Krafton investit tous azimuts sans que l’on parvienne réellement à comprendre sa stratégie, qu’elle soit financière, éditoriale ou territoriale. Reste que la rente PUBG n’est pas éternelle, que le dernier MMO de BlueHole Elyon a été fermé après moins de deux ans d’activité et que la carte blanche laissée à Brendan Greene suite au succès de PUBG ne semble pas diriger l’entreprise vers un projet très concret.
Conclusion : quel avenir pour Krafton Inc. ?
Si Embracer Group montre que l’argent ne peut pas tout acheter, Krafton Inc. illustre à quel point il peut être difficile de bien capitaliser sur un premier succès. Malgré le succès populaire phénoménal de son titre phare, l’éditeur coréen n’est jamais totalement parvenu à transformer PUBG en un véritable jeu plateforme, comme le Fortnite d’Epic Games. Le succès de la version mobile, en Chine et en Inde, semble suffire à Krafton pour le moment, mais on connaît la propension de ces territoires à changer les règles du jeu sans prévenir. Krafton cherche donc activement la relève. Ses investissements divers et (très) variés finiront-ils par payer ?
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