Game Science, la révolution AAA venue de Chine

La fondation du studio en 2014

L’histoire de Game Science débute en 2014, à Shenzhen, dans le sud de la Chine. À l’origine du projet on trouve deux figures clés : Feng Ji et Yang Qi.

Tous deux ont fait leurs armes chez Tencent, mastodonte du jeu vidéo chinois, où ils ont travaillé sur plusieurs projets (dont le jeu en ligne massivement multijoueur Asura, inspiré de plusieurs mythes chinois).

Avec eux, cinq autres collègues décident de les suivre dans cette aventure indépendante.

L’équipe partage une ambition simple mais peu commune en Chine : créer des jeux qui les passionnent véritablement, sans chercher à coller aux tendances du marché.

Dès l’origine, Game Science se distingue donc par cette volonté de s’adresser d’abord à des joueurs exigeants, en privilégiant la qualité et l’authenticité.

Cette orientation, qui peut sembler simpliste sur le papier, s’inscrit pourtant dans un contexte difficile.

Le marché chinois, alors largement dominé par les jeux mobiles et les modèles free-to-play, laisse peu de place aux projets ambitieux ou atypiques.

Malgré cela, les fondateurs de Game Science s’accrochent à leur vision, portés par l’envie de construire un studio à contre-courant.

Les premiers pas dans le jeu mobile

Pour s’imposer sur un marché encore peu ouvert aux jeux premium (sans publicité ni microtransactions obligatoires et qui proposent une expérience complète dès l’achat), Game Science choisit d’abord une approche progressive et pragmatique.

En 2015, le studio lance 100 Heroes (Bai Jiang Xing en version originale), un jeu mobile de stratégie inspiré du célèbre roman historique Les Trois Royaumes.

Le projet s’inscrit dans la tradition des jeux de collection de héros, très populaire en Chine.

Pour maximiser ses chances, Game Science s’associe avec NetEase, l’un des acteurs majeurs du jeu vidéo en Chine.

C’est eux qui se chargent de l’édition du titre. Ce partenariat lui permet de bénéficier d’une plus large visibilité, notamment sur les boutiques d’applications locales.

Le jeu rencontre un accueil correct, sans pour autant devenir un phénomène.

Dès son premier mois, il attire tout de même près de 500 000 joueurs.

Sur l’ensemble de l’année, il parvient à franchir la barre des 800 000 utilisateurs, un résultat honorable pour un jeune studio encore peu connu.

Ce succès modeste offre à Game Science un premier socle financier solide.

Plus important encore, il confirme que le studio sait concevoir des titres capables de trouver leur public, même dans un secteur aussi concurrentiel que celui du jeu mobile.

La confirmation avec Art of War: Red Tides 

Forte de son premier succès, l’équipe de Game Science poursuit sur la voie du jeu mobile, tout en cherchant à s’affranchir des codes traditionnels du genre.

En 2016, elle dévoile Art of War: Red Tides, un jeu de stratégie multijoueur en temps réel, basé sur un concept simple : deux armées s’affrontent en envoyant des vagues d’unités jusqu’à la destruction de la base ennemie.

Disponible en free-to-play, le jeu séduit le public par son approche accessible et son esthétique futuriste.

Son principal atout réside dans son gameplay dynamique, qui mise sur des décisions tactiques rapides.

Le jeu propose également un mode cross-platform, permettant aux joueurs sur mobile et sur PC de s’affronter.

Art of War: Red Tides rencontre un certain succès critique, tant pour sa prise en main immédiate que pour la solidité de ses mécaniques. Il s’impose comme une référence dans sa catégorie, notamment en Asie.

En 2019, le jeu et sa licence attirent l’attention de ByteDance, géant chinois du numérique et maison mère de TikTok.

La société rachète les droits du jeu via sa filiale dédiée au jeu vidéo, apportant à Game Science une importante rentrée financière.

Ce rachat marque un tournant dans l’histoire du studio.

Désormais libéré des contraintes du modèle free-to-play, Game Science commence à envisager une transition vers des projets plus ambitieux.

La voie du jeu premium, longtemps repoussée, commence alors à s’ouvrir.

Les origines du projet

Il faut dire que, les années passant, l’idée de créer un grand jeu solo n’a jamais quitté Feng Ji. Dès la fondation de Game Science, il caresse le rêve de donner vie à un projet d’envergure, capable de rivaliser avec les plus grands jeux du marché tout en mettant à l’honneur la richesse du folklore chinois.

C’est autour de cette obsession que naît le projet Black Myth: Wukong.

Feng Ji veut, avec lui, s’attaquer à un monument de la culture asiatique : La Pérégrination vers l’Ouest, l’un des romans les plus célèbres du patrimoine littéraire chinois.

Au centre du récit, la figure mythique de Sun Wukong, aussi connu sous le nom de Roi Singe, symbole de ruse et de puissance.

En 2018, Game Science franchit une nouvelle étape décisive.

Une partie de l’équipe s’installe à Hangzhou, où une cellule dédiée se met au travail sur ce projet, à l’écart de la production mobile qui continue à Shenzhen. 

L’entreprise est risquée. Les coûts de développement d’un tel projet sont élevés, et le marché chinois reste largement dominé par les jeux en ligne ou les expériences mobiles.

Malgré tout, l’équipe choisit de s’engager pleinement dans cette voie, portée par la conviction que la qualité et la singularité culturelle peuvent trouver leur public, même à l’international.

La stratégie de développement

En plus de cette séparation physique, le studio fait un choix qui tranche avec les habitudes de l’industrie locale : privilégier la qualité, même si cela implique de prendre du temps.

Plutôt que de se fixer des délais serrés, l’équipe accepte l’idée d’un calendrier flexible, où la priorité reste la finition du jeu et la justesse de son expérience.

Cette approche porte ses fruits en août 2020, lorsqu’une première bande-annonce de Black Myth: Wukong est dévoilée.

La vidéo suscite un engouement mondial immédiat, grâce à des graphismes impressionnants et un gameplay spectaculaire.

En quelques jours, elle cumule des millions de vues sur les réseaux sociaux.

L’impact de cette révélation dépasse toutes les attentes.

Le studio reçoit plus de 10 000 candidatures spontanées de développeurs, séduits par la qualité du projet et par la perspective de travailler sur un jeu aussi ambitieux.

Ce succès inattendu entraîne une vague de recrutements, faisant passer l’équipe d’une trentaine de personnes à plus d’une centaine en seulement quelques mois.

Cette croissance accélère encore le développement, tout en permettant au studio de renforcer son expertise sur plusieurs aspects techniques et artistiques.

La philosophie Game Science

Au cœur de Black Myth: Wukong réside une idée simple, celle de créer un jeu auquel les développeurs eux-mêmes auraient envie de jouer.

Cette approche, revendiquée dès les débuts du projet, guide l’ensemble des choix artistiques et techniques.

Pour l’équipe de Game Science, la passion du jeu prime sur les logiques de marché.

Cette philosophie s’accompagne de l’ambition clairement affichée de valoriser la richesse du patrimoine chinois.

En adaptant La Pérégrination vers l’Ouest, le studio entend faire rayonner la mythologie locale au-delà des frontières.

Chaque détail, du bestiaire aux environnements, s’appuie sur des recherches approfondies pour restituer l’atmosphère des légendes, tout en les rendant accessibles au public mondial.

Pour porter cette vision, Game Science mise sur les meilleures technologies disponibles.

Donc le studio opte pour l’Unreal Engine 5, moteur de référence dans le domaine du jeu vidéo.

Tout au long du projet, Game Science reste fidèle à ses principes.

Le studio refuse d’intégrer des mécaniques de monétisation intrusive ou des contenus payants superflus.

Son objectif n’est ni de prolonger artificiellement la durée de vie du jeu, ni de multiplier les sources de revenus annexes.

Une sortie historique

Après plusieurs années de développement, Black Myth: Wukong voit le jour le 20 août 2024.

Le jeu sort simultanément sur PC et PlayStation 5, tandis que la version Xbox, initialement prévue, est reportée à une date ultérieure.

Dès son lancement, l’engouement autour du titre se confirme.

En l’espace d’une semaine, Black Myth: Wukong franchit la barre des 10 millions d’exemplaires vendus dans le monde.

Un mois plus tard, le cap des 20 millions de copies écoulées est atteint, propulsant le jeu parmi les plus gros succès commerciaux de l’histoire du jeu vidéo.

Le phénomène dépasse les simples chiffres de vente.

Sur Steam, il établit un record pour un jeu solo en réunissant jusqu’à 2,4 millions de joueurs simultanés peu après sa sortie.

Cette performance, inédite pour un jeu issu d’un studio chinois indépendant, témoigne de l’ampleur prise par le projet sur la scène mondiale.

Réception critique et publique

À sa sortie, Black Myth: Wukong reçoit un accueil globalement favorable de la part des critiques spécialisées.

Sur PC, le jeu affiche une moyenne de 81/100 sur Metacritic, un score solide pour une première incursion dans le domaine des jeux AAA.

Sur PlayStation 5, la note se place légèrement plus bas, sans pour autant entamer l’enthousiasme général.

Les critiques saluent avant tout la direction artistique du jeu.

L’univers visuel, inspiré des mythes chinois, impressionne par sa richesse et son souci du détail.

Les décors, les costumes et le design des créatures témoignent d’une maîtrise esthétique rarement atteinte dans un jeu d’action.

Le système de combat fait également l’objet de nombreux éloges.

Les affrontements, exigeants et spectaculaires, séduisent par leur fluidité et par la variété des transformations offertes au personnage principal.

Certains critiques voient dans ce gameplay une synthèse réussie entre tradition orientale et mécaniques modernes.

Quelques réserves ressortent toutefois.

Certains journalistes pointent du doigt un équilibrage parfois inégal, en particulier dans la montée en puissance du personnage ou dans la difficulté de certains combats.

La structure du jeu, jugée par moments légèrement rigide, fait également débat.

Impact culturel immédiat

Le succès de Black Myth: Wukong ne se limite pas aux chiffres de vente ou aux critiques spécialisées.

Dès les premiers jours suivant sa sortie, le jeu s’impose comme un phénomène culturel à part entière.

Sur PlayStation 5, il atteint la tête des classements de ventes dans plusieurs régions du monde, dont l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon.

Cette percée confirme encore plus la capacité du titre à séduire bien au-delà des frontières chinoises.

En Chine, l’accueil dépasse le simple engouement vidéoludique.

Le jeu devient rapidement un événement national, célébré dans la presse généraliste comme dans les médias spécialisés.

Pour beaucoup, Black Myth: Wukong symbolise la réussite d’une industrie locale longtemps cantonnée aux jeux mobiles ou aux jeux en ligne.

Le titre incarne une forme de fierté culturelle, en portant à l’écran une œuvre majeure du patrimoine littéraire chinois avec des moyens comparables aux superproductions internationales.

Sur les réseaux sociaux chinois, les discussions autour du jeu se multiplient, tandis que de nombreuses figures publiques saluent la performance du studio.

Un moteur économique bien au-delà du jeu vidéo

Au-delà de son succès international, Black Myth: Wukong a profondément transformé le paysage vidéoludique chinois.

Dès sa sortie, le jeu déclenche une vague d’engouement sans précédent sur le marché local.

Les effets sont immédiats : les ventes de consoles explosent, en particulier celles de la PlayStation 5.

Sur les plateformes chinoises de commerce en ligne, comme Taobao et Tmall, les ventes de jeux vidéo connaissent une hausse spectaculaire.

La PS5 se retrouve en rupture de stock à certains endroits, tandis que la demande pour des jeux premium, jusqu’alors marginale en Chine, bondit de manière significative.

Ce phénomène, baptisé par certains médias la “Wukong Economy”, dépasse largement le cadre du jeu vidéo.

En effet, l’influence de Black Myth: Wukong s’étend au secteur du tourisme.

Plusieurs temples et sites historiques, dont le temple Xiaoxitian et le temple Guangsheng, figurant dans le jeu ou ayant inspiré certains décors, voient leur fréquentation grimper.

Certains sites historiques ont commencé à vendre des produits dérivés liés au jeu. Cette réussite vidéoludique est devenue un véritable moteur économique régional.

Ces initiatives illustrent parfaitement  l’impact culturel profond du jeu, qui a contribué à réinscrire le folklore chinois dans l’imaginaire collectif, tout en générant de nouvelles sources de revenus pour des lieux patrimoniaux souvent en déclin.

Une révolution dans l’industrie chinoise du jeu vidéo

Sur le plan industriel, les effets sont tout aussi visibles.

Le succès de Black Myth: Wukong a ravivé l’intérêt des éditeurs pour les jeux premium à identité culturelle forte.

Alors que l’industrie chinoise était largement dominée par les modèles free-to-play et les jeux mobiles, la réussite de Game Science a contribué à modifier la perception du public et des investisseurs.

Les projets AAA portés par des studios chinois commencent à se multiplier.

Des titres comme Phantom Blade Zero ou Wuchang: Fallen Feathers, tous deux fortement inspirés par des récits chinois traditionnels, ont été dévoilés peu après.

Ces jeux affichent des ambitions techniques et artistiques comparables à celles de Black Myth, dans l’espoir de séduire à la fois le public local et les joueurs étrangers.

La dynamique enclenchée par Black Myth: Wukong a également eu un effet indirect sur les régulations du marché chinois.

Après une période de gel des licences de jeux vidéo entre 2021 et 2022, le gouvernement a repris l’attribution des autorisations de publication, accélérant même certains processus pour les projets jugés stratégiques.

Certains observateurs estiment que la réussite de Game Science a conforté les autorités dans l’idée que les jeux vidéo pouvaient aussi servir d’outil culturel et diplomatique.

Le point de départ d’une nouvelle ère vidéoludique

Aujourd’hui, Black Myth: Wukong est souvent cité comme le point de départ d’une nouvelle ère dans le jeu vidéo chinois.

En quelques mois, il a transformé l’écosystème local, encouragé de nouveaux investissements dans le segment AAA et montré qu’un jeu profondément enraciné dans la culture nationale pouvait aussi devenir un moteur économique majeur.

Son influence dépasse largement la sphère vidéoludique et continue d’irriguer d’autres secteurs, du tourisme au commerce, consolidant sa place dans l’histoire du jeu vidéo chinois.

Depuis le succès mondial de Black Myth: Wukong, Game Science se concentre sur l’enrichissement de son univers. La prochaine étape sera la sortie du jeu sur Xbox Series X|S, prévue pour le 20 août 2025.

Initialement annoncé pour toutes les plateformes en 2024, ce portage a été repoussé en raison de problèmes d’optimisation technique.

En parallèle, le studio prépare plusieurs contenus additionnels pour prolonger l’expérience.

Deux extensions sont déjà en développement, dont la première devrait être lancée dès l’été 2025, autour du premier anniversaire du jeu. 

Ces contenus promettent de nouveaux défis, des boss inédits et des chapitres supplémentaires centrés sur l’univers mythologique chinois.

Game Science ambitionne ainsi d’installer durablement la série Black Myth comme une référence du genre action-RPG.

Si aucune annonce officielle n’a encore été faite, plusieurs rumeurs évoquent aussi un futur projet intitulé Black Myth: Jiang Ziya, centré sur un autre personnage emblématique du panthéon chinois.

Le studio a d’ailleurs déjà laissé entendre que Wukong ne serait que le premier volet d’une série plus vaste, entièrement dédiée aux grandes légendes asiatiques.

Après avoir marqué l’industrie avec son premier jeu AAA, Game Science entend donc étendre son influence tout en consolidant son univers.

Avec Black Myth: Wukong, Game Science s’impose comme l’un des pionniers d’une nouvelle génération de studios chinois tournés vers le développement de jeux AAA.

Son parcours, marqué par la persévérance et la volonté de proposer une œuvre à la fois ambitieuse et profondément ancrée dans la culture locale, ouvre une voie nouvelle dans l’industrie vidéoludique.

Le défi, désormais, consiste à prolonger cet élan. Maintenir un tel niveau de qualité, continuer à surprendre sans renier sa philosophie d’origine, représente une tâche exigeante.

L’attente autour des prochains projets du studio est immense, portée par une communauté internationale attentive et des professionnels du secteur curieux de découvrir la suite.

Une chose, cependant, ne fait aucun doute : Game Science a d’ores et déjà marqué l’histoire du jeu vidéo.

En réconciliant identité culturelle, excellence technique et succès mondial, le studio a prouvé que la Chine pouvait s’imposer dans le paysage vidéoludique mondial. Le monde attend désormais ses prochaines créations.