Qui est Embracer Group, l’éditeur glouton venu du Nord de l’Europe ?
Le business chevillé au corps
Lars Wingefors n’est pas un adolescent comme les autres : le jeune suédois vient à peine de fêter ses 13 ans quand il crée sa première entreprise, LW Comics, qui revend des bandes dessinées d’occasion. Cela fait déjà plusieurs mois qu’il teste son modèle avec divers objets de la vie courante, comme des magazines de Noël ou des sacs en plastique. Bingo : LW Comics réalise pas moins de 300 000 kr de résultat pour sa première année, soit 27 000 € d’argent de poche. À 16 ans, il fonde déjà sa seconde société, Nordic Games, qui applique le même principe aux jeux vidéo.
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La croissance est fulgurante
les 5 millions de couronnes de la première année (455 000 €) ne sont qu’un échauffement. Quand son créateur souffle sa vingtième bougie, le chiffre d’affaires de Nordic Games passe à près de 10 millions d’euros, ce qui l’encourage à arrêter ses études pour se consacrer entièrement à son florissant commerce. Vers la fin des années 90, Lars Wingefors est à la tête de sept magasins de vente au détail à travers la Suède, et il a même racheté un concurrent.
Un problème de structure l’oblige alors à faire un choix : investir en capital risque, trouver des partenaires ou revendre. Il opte finalement pour cette dernière option : la filiale suédoise du revendeur britannique Games lui achète Nordic Games pour près de sept millions d’euros.
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Nordic Games repart de zéro (deux fois)
Sous sa nouvelle bannière, la société périclite rapidement. Les années 2000 et la bulle internet poussent Game à se débarrasser de l’entreprise, vendue contre 1 couronne suédoise symbolique à son fondateur. Lars Wingefors dépense donc moins de 10 centimes d’euros pour reprendre le contrôle de sa création, à peine un an après s’être rempli les poches en la vendant. Mieux préparé, il se relance dans la vente de jeux vidéo – neufs, cette fois – en faisant appel à des investisseurs : cela ne suffit pas, et Nordic Games dépose le bilan en 2004.
Loin d’entamer l’ambition de Wingefors, cet échec l’incite à monter une nouvelle structure : Game Outlet Europe va acheter des invendus de jeux, les reconditionner et les vendre dans le reste du monde. Le succès naissant donne des idées à la brochette d’investisseurs derrière le projet, qui prend une nouvelle tournure fin 2008 avec la création d’une filiale d’édition de jeux vidéo. Davantage guidée par l’ambition entrepreneuriale de Wingefors que par une quelconque volonté créative, cette nouvelle structure – nommée également Nordic Games, une obsession pour le suédois – va chercher à faire son trou à sa manière. En faisant du neuf avec du vieux.
Nordic Games connaît la chanson
La licence Singstar cartonne sur PlayStation ? Nordic Games épluche les conditions drastiques imposées par Nintendo pour sortir des accessoires sur Wii – des microphones impérativement fabriqués par Logitech, notamment – et pond We Sing, qui devient une véritable poule aux œufs d’or déclinée ensuite sur tous les supports. En 2009, Nordic Games réalise un chiffre d’affaires de 4,5 millions d’euros, dont il doit les trois quarts à son jeu de chant. Le moment est déjà venu de consolider l’activité, et c’est là que les choses se corsent : créé en mars 2011, Nordic Games Holding (NGH) regroupe à la fois Game Outlet Europe et son versant dédié à l’édition, Nordic Games.
We Sing est à l’origine du succès financier de Nordic Games
Une sorte de folie expansionniste aux ramifications légales complexes s’amorce. En juin, NGH acquiert les actifs de l’éditeur JoWood Entertainment (Gothic, Spellforce…) via Nordic Games GmbH, créé en Autriche, qui absorbe finalement le Nordic Games originel pour faciliter les opérations à venir. En 2013, tout devient complètement flou : Nordic Games Licensing gère désormais les droits de Nordic Games Holding, renommé Nordic Games Group pour plus de clarté (sic). Il fait dans la foulée l’acquisition des actifs de l’américain THQ, en faillite, pour les transférer à la GmbH.
THQ puis Embracer : des rebranding en pagaille
Nordic Games Holding et Nordic Games GmbH se renomment ainsi THQ Nordic AB et THQ Nordic GmbH, comme pour mettre en sourdine leurs origines et embrasser le destin international qui les attend. Entre deux dilutions de ses actions, qui lui permettent de mettre la main sur de fraîches liquidités, le groupe rachète Koch Media Holding et son label d’édition Deep Silver (Dead Island, S.T.A.L.K.E.R ainsi que Saints Row et Homefront), puis Coffee Stain Holding. Son chiffre d’affaires pour l’exercice 2018 s’établit à 433 millions d’euros, soit une augmentation de 713% en un an.
La suite est une succession ininterrompue d’acquisitions, dans divers domaines d’activité : l’édition et le développement de jeux vidéo bien entendu, mais également des sociétés d’investissement qui l’aideront à mettre en œuvre sa politique d’acquisition. Tarsier Studios, Saber Interactive, 4A Games, New World Interactive, Palindrome Interactive, Rare Earth Games, Vermila Studios, Pow Wow Entertainment et DECA Games rejoignent ainsi successivement les différentes structures du groupe, qui se renomme Embracer en 2019.
À la conquête du monde
Wingefors et ses associés passent la seconde en février 2021, en dépensant plus de 2 milliards d’euros pour trois nouveaux jouets : les éditeurs et développeurs Gearbox Software (Borderlands) et Easybrain (jeux mobile), ainsi que le spécialiste du portage de jeux Aspyr Media, rejoignent également le bâteau. Suit le géant français du jeu de société Asmodee, pour la bagatelle de 3 milliards d’euros, ainsi que Dark Horse Media (comics, production, magasins spécialisés) fin 2021. L’incroyable course à la propriété intellectuelle n’est pas terminée : en 2022, Embracer met 300 millions sur la table pour récupérer les studios Crystal Dynamics, Eidos et Square Enix Montréal en plus de diverses licences de premier ordre comme Deux Ex, Tomb Raider ou Legacy of Kain.
Déjà 50 000 entrées dans le fond de préservation du jeu vidéo d’Embracer
La même année, d’autres studios intègrent le groupe, qui met également la main sur les droits d’exploitation du roman de J.R.R Tolkien, Le Seigneur des Anneaux. Une nouveauté de poids dans le catalogue du géant européen, qu’il promet déjà d’exploiter sur un maximum de supports. Structuré en dix filiales, Embracer recèle maintenant d’actifs en tout genre, et prend même le temps de créer une entité pour archiver l’intégralité des jeux vidéo sortis à ce jour sur support physique. L’initiative va prendre du temps, mais ce sont déjà plus de 50 000 titres qui ont trouvé refuge à Karlstad, en Suède. Outre l’archivage et la mise en accès libre d’une gigantesque base de données, Embracer Games Archive entend utiliser ce fond pour intervenir dans les musées et les institutions, mais également aider les journalistes qui pourraient avoir besoin d’accéder à des titres difficiles à trouver – ou très onéreux – aujourd’hui.
2023 : l’heure des comptes
Embracer Group est devenu gigantesque. En moins de dix ans, la société de Lars Wingefors s’est construit un solide trésor de guerre fort de 850 licences, 132 studios et 15 700 employés à travers le monde. Son objectif à court terme est désormais clair : rentabiliser ces coûteuses acquisitions en multipliant les produits tirés de ces fameuses licences, de préférence en mettant à profit ses ressources internes. Dans le même temps, l’entreprise entend cumuler les rentrées d’argent générées par les titres déjà sortis, mais également profiter de royautés éventuelles découlant de partenariats en cours ou à venir. Pas moins de 234 jeux devraient voir le jour d’ici mars 2026, pour un groupe qui entend parallèlement lever le pied sur les acquisitions.
Jeux de société, bande dessinée et bien entendu jeux vidéo : Embracer varie les plaisirs et les investissements
En progression constante, le cours de l’action Embracer marque le pas depuis le début de sa politique d’investissement
Ses actionnaires ont besoin de garanties, avec des résultats nécessairement ternis par les milliards investis en à peine trois ans. Cela se ressent en bourse avec une action qui marque le pas début 2021, après quatre ans de hausse constante. D’ici à 2026, Wingefors promet un retour sur investissement, en plus du remboursement de la dette colossale contractée pour mener cette politique inédite d’acquisition massive. Si le géant se donne les moyens de ses ambitions, sa stratégie interroge.
Cette accumulation de ressources stratégiques ne devrait pas l’inciter à la patience, tout comme la nécessité de satisfaire ses investisseurs. Ce sont les équipes de développement qui pourraient en faire les frais, ballottées d’un projet à un autre et plus que jamais dépendantes des tableurs des exécutifs en charge de la gestion complexe de ce portefeuille foisonnant. Ce n’est pas forcément très engageant non plus pour les joueurs et les joueuses, qui voient certaines de leurs licences préférées à la merci d’une entreprise sans ligne éditoriale particulière et dont le catalogue va certainement manquer de cohérence.
La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf ?
Si l’on reproche parfois aux grands groupes du jeu vidéo de manquer un peu d’âme, beaucoup ont construit leur succès sur une proposition éditoriale forte, soutenue par une offre qualitative et une vision certaine. Mais Embracer n’est pas Electronic Arts ou Ubisoft. Le géant nordique a savamment empilé les assets et s’apprête à faire le tri, au risque de perdre la confiance des joueurs et des joueuses en chemin. Il va nécessairement y avoir de la casse dans cet agglomérat de propriétés intellectuelles, et si l’autonomie laissée aux entreprises récemment acquises laisse entendre que beaucoup des studios d’Embracer disposent encore d’une certaine marge de manœuvre créative, les choses pourraient rapidement changer si les ventes ne sont pas au rendez-vous.
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