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Guide du Jeu Vidéo

Garena : un succès loin de l’amour de l’art

Tout un pan du jeu vidéo se dérobe à notre regard, très occidentalo-centré, sur une industrie logiquement bien implantée dans le monde entier. Tout à la fois développeur, prestataire de service, défenseur de l’esport et facilitateur de distribution en Asie, Garena est difficile à cerner tant il n’est pas aisé d’en retracer le parcours ou les contours précis. Tenter de comprendre le fonctionnement de sa maison mère Sea Limited, c’est se confronter à un territoire pour le moins opaque vu de chez nous, notamment la faute à une culture du secret extrêmement tenace sur la plupart des marchés asiatiques. Tentons néanmoins de percer (un peu) le mystère Garena.
Maxence Jacquier
Par Maxence Jacquier
Journaliste
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Un premier coup de maître

Après son Bachelor en ingénierie à l’Université de Shanghai Jiatong, le chinois Li Xiaodong enchaîne sur un MBA à Stanford, dans la baie de San Francisco. Il n’est pourtant pas issu d’une famille riche : le jeune homme s’endette à hauteur de 100 000 dollars, avant de revenir s’établir sur ses terres une fois le diplôme en poche. Un temps recruteur pour Motorola dans la deuxième ville la plus peuplée de Chine, il quitte rapidement la grosse entreprise américaine d’électronique et de télécommunications pour s’installer à Singapour. Entre-temps, il a changé de nom d’usage. Quand un professeur de Stanford a du mal à prononcer son nom de famille, il décide d’américaniser son patronyme pour se fondre dans la masse. Li Xiaodong, qui vient de voir Forrest Gump à la télévision, devient Forrest Li.

Fan de foot, Forrest Li a racheté un club de Singapour en 2020

Fan de foot, Forrest Li a racheté un club de Singapour en 2020

On sait peu de choses sur ses premiers temps sur place. Le pays insulaire paraît tout aussi étouffant que la mégalopole de Shanghai – 80 millions d’habitants dans l’agglomération, probablement la plus peuplée de la planète – d’autant que ses conditions de vie paraissent peu enviables. Même s’il prend la nationalité singapourienne, Forrest Li n’a pas totalement coupé les ponts avec son pays d’origine : c’est sous l’impulsion (et le flot de cash) de Tencent qu’il lance Garena, entreprise aux multiples casquettes centrée sur le jeu vidéo, en 2009. Son premier projet est extrêmement bien vu : Garena+, plateforme de distribution qui voit le jour en 2010, entend irriguer l’Asie du Sud-Est avec un maximum de jeux vidéo, principalement gratuits comme le veut l’usage local. C’est qu’il est plus facile de mettre à disposition les jeux des autres, surtout quand on n’a pas encore ses propres équipes de production.

En 2010, le tourbillon League of Legends commence à peine. Forrest Li parvient à signer un accord avec Riot Games pour proposer le MOBA sur sa plateforme. La société aura la charge des serveurs de jeu aux Philippines, à Taiwan, Hong Kong et Macau, au Vietnam, en Thaïlande mais également à Singapour, en Malaisie et en Indonésie. En plus de la partie logistique, Garena adapte le jeu à ces territoires, sous le contrôle de Riot Games. Nouvelle monnaie virtuelle (les Garena Shells, que l’on peut acheter dans les supermarchés sous forme de carte) permettant d’acheter les Riot Points, ajustement du prix des microtransactions, ajout de loot box exclusives… les mises à jour du jeu arrivent certes avec un peu de retard, mais Garena fait un excellent travail pour permettre aux joueurs et joueuses d’Asie du Sud-Est de vivre la meilleure expérience de LoL possible

Début 2020, le skin Volcanic de Wukong a vu son prix passer de 975 à 1 RP (de 5,8 € à quelques centimes) pour sensibiliser le public philippin à l’activité du volcan Taal

Début 2020, le skin Volcanic de Wukong a vu son prix passer de 975 à 1 RP (de 5,8 € à quelques centimes) pour sensibiliser le public philippin à l’activité du volcan Taal

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Polémique et drôle de flair

Dès mai 2012, Garena se lance dans l’esport avec une ligue fermée qui réunit six équipes venues des Philippines et de Thaïlande, de Malaisie, du Vietnam, de Taipei ou encore de Singapour. Elle grandit dès l’année suivante avec deux équipes supplémentaires, et le projet prend une nouvelle ampleur en 2014 avec l’ouverture d’une salle dédiée au sport électronique. En 2015, c’est la ligue Iron Solari qui voit le jour aux Philippines : réservée aux femmes, cette compétition défraie la chronique compte tenu des restrictions rétrogrades de son organisateur concernant les personnes transgenres. « Les joueurs et joueuses LGBT sont les bienvenus aux tournois officiels de LoL » tranche rapidement Riot Games, poussant Garena à revoir rapidement ses règles : les compétitrices transgenres seront finalement acceptées, mais les excuses rapides de Garena ne suffisent pas totalement à apaiser la communauté.

Garena ouvre une salle dédiée à l’esport, à Taipei en 2014

Garena ouvre une salle dédiée à l’esport, à Taipei en 2014

En parallèle, l’éditeur tente d’approfondir son catalogue de jeux. Outre le FPS multijoueur Blackshot, extrêmement populaire en Asie à défaut d’être très original, Garena passe la seconde en 2011 avec la signature, contre le montant record de 23 millions de dollars, des droits d’exploitation et d’adaptation de Firefall. Alors en cours de développement au sein du studio californien Red 5, fondé par d’anciens de Blizzard Entertainment, cet ambitieux mélange de MMO et de jeu d’action semblait destiné à un avenir radieux, en faisant le grand écart entre les aspirations très différentes des publics asiatiques et occidentaux. Las, Firefall mettra près de quatre ans à sortir, avant d’être arrêté définitivement en 2017, faute d’utilisateurs actifs. mondiale du jeu vidéo. Tout le monde connaît Pac-Man. Borne la plus populaire, devant Space Invaders au Japon et Asteroids (d’Atari, qui a refusé de distribuer Pac-Man) aux États-Unis, Pac-Man tient notamment son succès de sa popularité auprès de la gent féminine, plus intéressée par ce monstre jaune qui gobe tout sur son passage que les austères joutes militaires plébiscitées par les hommes.

Entre-temps, Garena ne chôme pas. L’éditeur joue la carte du flair, en proposant sur sa plateforme divers titres au succès certain sur d’autres territoires. Duke of Mount Deer Online, bien implanté en Chine, mais également Path of Exile des néozélandais de Grinding Gear Games se côtoient un temps sur la plateforme, qui brasse plusieurs genres de jeux au fil des années : MMORPG bien sûr, mais aussi jeux de combats, FPS, shoot’em up et MOBA sont ainsi proposés sur les différents territoires couverts par Garena+. Parfois pour des durées très courtes : Forrest Li ne fait pas de sentiment au moment de décider du sort des jeux, qui restent en moyenne guère plus de deux ans à disposition du public. Outre League of Legends, Garena se cherche d’autres poules aux œufs d’or. 

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La recette Amazon

En 2015, Forrest Li diversifie vraiment les activités de son entreprise. Bien implanté côté jeux vidéo avec une grosse douzaine de titres publiés depuis 2009, il est largement influencé par le succès des grandes plateformes de commerce électronique, comme Alibaba ou Tencent en Chine et Amazon dans le reste du monde. En plus des prix bas et de la livraison gratuite et garantie, Garena ajoute une couche de gamification à son application Shopee qui ne tarde pas à séduire partout où elle est déployée. D’abord déployée à Singapour, la plateforme s’étend ensuite en Malaisie, en Thaïlande ou encore en Indonésie, et même au Brésil en 2019 avant d’irriguer toute l’Amérique du Sud et de s’attaquer à l’Europe.

La première bande-originale de jeux vidéo est constituée de reprises orchestrales de titres de Namco (Pac-Man, Dig-Dug, Galaga)

L’application mobile clé en main irrigue ses clients de bons de réduction alléchants, tandis qu’un marketing agressif lui garantit une bonne visibilité sur les territoires concernés. C’est le bondissant Jackie Chan qui est par exemple choisi pour faire la promotion de Shopee au Brésil, où l’approche moderniste du commerce en ligne fait rapidement mouche. Pas moins de 95 % des ventes mondiales sont réalisées par le biais de l’application mobile, qui réplique un modèle efficace qui a fait ses preuves. Forrest Li dispose de la vision et surtout des fonds pour imposer sa marque sur la durée, sans pour autant hésiter à couper rapidement une filiale qui ne lui donnerait pas entière satisfaction. Quelques mois seulement en Inde compte tenu de restrictions politiques drastiques et du rapport tendu entre New Dehli et Pékin (Garena est toujours très soutenu par Tencent), guère plus en France où la concurrence est féroce (Amazon, Alibaba…) et mieux implantée.

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Jackie Chan recommande largement Shopee aux consommateurs brésiliens. Logique.

Le jeu vidéo pour doper la croissance

Difficile de reprocher à Krafton son action en justice, tant les similarités entre PUBG et Free Fire sont évidentes Difficile de reprocher à Krafton son action en justice, tant les similarités entre PUBG et Free Fire sont évidentes

Forrest Li, qui « veut continuellement repousser les limites », va profiter de deux grands succès consécutifs de sa dimension jeux vidéo pour donner plus d’ampleur à son projet plus global. C’est indirectement Riot Games qui lui offre sa première opportunité, en refusant en 2015 de plancher sur une version mobile de League of Legends malgré l’insistance de sa maison mère Tencent. Le géant chinois décide de s’en charger : Arena of Valor (Honor of Kings en Chine) connaît un immense succès, d’abord dans l’Empire du Milieu puis dans le reste du monde. Garena en tirera un profit substantiel, surfant sur l’immense hype du MOBA pendant de nombreuses années.

Son autre grand succès, Garena le doit à lui-même. Pour sa première production maison, l’éditeur frappe fort. Le battle royale mobile Free Fire ne joue certes pas la carte de la créativité face à la concurrence qui émerge en ce milieu d’année 2017, mais il a le mérite d’arriver au bon moment. Entre la sortie PC de PUBG en mars et celle de sa version mobile début 2018, il s’engouffre dans une brèche qui le propulsera au panthéon des jeux vidéo sur mobile : plus d’un milliard de téléchargements sur le Google Play Store en deux ans, jeu le plus téléchargé au monde trois ans de suite (de 2019 à 2021), 150 millions d’utilisateurs actifs au quotidien en 2021…

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La version Max de Free Fire, sortie en 2021, propose une meilleure réalisation et un gameplay plus fluide

D’abord clone éhonté du battle royale de Krafton, le jeu s’émancipe petit à petit de son modèle pour rechercher davantage de variété, à la manière du Fortnite d’Epic Games. Nouveaux modes de jeu et événements temporaires viennent allonger une sauce qui prend aux quatre coins de la planète, même si l’Asie reste le terrain de chasse privilégié de Free Fire. Il faut également souligner, pour expliquer la popularité du jeu, que l’absence de Fortnite sur mobile à partir de 2020 facilite quelque peu sa popularisation, beaucoup de joueurs et joueuses passant leur frustration sur la proposition de Garena. Suivent la prise en charge de FIFA Online, version free-to-play très populaire en Asie de la simulation d’Electronic Arts, et même de Call of Duty Mobile à partir de 2019. Garena est désormais un acteur incontournable sur des territoires que les éditeurs occidentaux ont bien du mal à toucher.

Plus dure sera la chute

Tout sourit donc à Garena, qui se renomme Sea Limited pour clarifier un peu son organisation interne. Il faut dire que les choses se bousculent pour Forrest Li, qui lance à cette période un troisième pilier d’activité. SeaMoney est un service bancaire dématérialisé qui prête, assure, gère des patrimoines et offre divers services financiers dans toute l’Asie du Sud-Est. Les voyants sont au vert quand l’entreprise entre à la Bourse de New-York, en octobre 2017. Les titres s’arrachent, propulsant le fondateur de l’entreprise parmi les hommes les plus riches de la planète. Avec une fortune estimée à 26,6 milliards de dollars en septembre 2021, Forrest Li est la première fortune de Singapour, tandis que Sea Limited est valorisée à plus de 70 milliards de dollars.

La pandémie de covid-19 marque l’apogée de Garena, mais signe également le début des ennuis. Boostée par les différents confinements, l’activité chute brutalement dès le retour à la normale sanitaire. La remontée des taux, conjuguée à une récession économique mondiale, entraîne une baisse substantielle des investissements. L’action de Sea Limited chute lourdement : Forrest Li décide de licencier une partie de ses effectifs et de limiter au maximum les coûts pour encaisser le manque à gagner, quitte à ne pas payer les principaux cadres de l’entreprise jusqu’à atteindre son objectif d’autosuffisance. Une perte de valorisation de 170 milliards de dollars en seulement quelques mois qui s’annonce particulièrement difficile à compenser, d’autant que les déconvenues s’enchaînent pour l’éditeur.

Allié de toujours et gros pourvoyeur de fonds, Tencent se retire du capital de Garena, alors même que Riot Games prend son indépendance : le créateur de League of Legends gère, à partir de 2022 et après dix ans de collaboration, lui-même les activités de son titre dans le Sud-Est asiatique. Free Fire est quant à lui banni en Inde, au même titre que 52 autres applications jugées trop proches de la Chine, dans un contexte géopolitique tendu. Sea Limited fera lui-même le choix, peu après, de retirer Shopee de ce juteux marché, se coupant de plusieurs centaines de millions de clients potentiels. Les choses s’apaisent en 2023 avec le retour du battle royale en terres indiennes, grâce à un intermédiaire local et à un apaisement des relations sino-indiennes, mais l’enchaînement des déboires creuse largement les comptes de l’entreprise. Elle se voit par exemple contrainte d’abandonner le studio canadien Phoenix Labs, acquis en 2020 pour 150 millions de dollars.

Conclusion

Jamais vraiment guidée par la créativité, Garena a (brillamment) répliqué des modèles existants pour toutes les facettes de son activité, qu’elles soient liées au jeu vidéo ou au commerce en ligne. Sa grande dépendance au travail ou au soutien des autres se répercute logiquement côté finances : faute de réel savoir-faire créatif en interne, Garena/Sea Limited n’a pas forcément beaucoup de solutions maison à proposer en cas de climat économique délétère. Sans Tencent et Riot Games, l’éditeur singapourien parviendra-t-il à redresser la barre ? L’expérience Free Fire montre que l’entreprise est capable de s’en sortir seule, pour peu qu’elle identifie rapidement une tendance afin d’en tirer profit sur ses territoires. La concurrence plus féroce en Asie du Sud-Est et une industrie toujours plus concentrée réduisent néanmoins ses possibilités de partenariats stratégiques. L’avenir de Sea Limited s’annonce plein d’incertitudes.

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FAQ

Quelles sont les principales licences de Garena dans le jeu vidéo ?
Garena s'est imposé comme un acteur majeur du jeu vidéo grâce à des licences populaires comme Free Fire, League of Legends, Call of Duty: Mobile, Arena of Valor et FIFA Online 4. Ces titres lui ont permis de conquérir un large public et de générer des revenus importants. Garena développe également ses propres jeux, comme Contra Returns.
Quel est le chiffre d’affaires de Garena ?

Garena affiche une croissance fulgurante, dépassant les 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2022.

Porté par le succès de ses jeux vidéo, notamment Free Fire, et sa plateforme Shopee, Garena prévoit une croissance continue dans les années à venir.

Qui possède Garena ?

Garena n'est pas une société indépendante, mais fait partie de Sea Limited, une société holding singapourienne cotée en bourse.

Fondé par Forrest Li, qui dirige également Sea Limited, Garena bénéficie du soutien financier et stratégique de sa société mère.

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