L'alliage du jeu vidéo et du jouet : voici l’histoire de Bandai Namco
NAMCO
Des bâteaux aux manèges pour enfant
Fraîchement diplômé de l’Institut de Technologie de Yokohama, Masaya Nakamura est promis à une belle carrière dans la construction navale. Problème, nous sommes en 1948 et voilà trois ans que le Japon a capitulé face aux États-Unis. Le pays est gangréné par la pauvreté et la famine : son horizon professionnel bouché, Nakamura est contraint de se réorienter. À trente ans, il investit 3 000 dollars dans deux chevaux mécaniques à bascule, installés sur le toit d’un grand magasin. Il faut dire que la concurrence truste les très prisés emplacements situés en intérieur. Il entretient les machines et en gère l’exploitation : devant le succès de l’opération, Nakamura développe le concept (jumelles, pêche à la ligne…) pour le compte de différentes enseignes dans les environs de Tokyo. Créée en 1955, son entreprise s’appelle alors Nakamura Seisakusho Co., Ltd.
Rapidement renommée Nakamura Manufacturing Co., Limited, la boîte grandit suffisamment pour nouer des partenariats d’envergure — le plus important avec Disney — puis pour concevoir et produire ses propres machines de divertissement électro-mécaniques. Nakamura est lui-même derrière Torpedo Launcher, un jeu de tir également connu sous le nom de Periscope. Assez inédit pour l’époque, le monnayeur accepte uniquement les quarters américains (pièces de 25 cents) : la borne connaît néanmoins un franc succès, notamment grâce à SEGA, à qui Nakamura a cédé les droits d’exploitation. Les premières réussites de ces bornes d’arcade, installées dans les centres commerciaux et les supermarchés, incitent Nakamura à abandonner peu à peu les manèges. Les jeux de course Racer, Formula-X et F-1 voient le jour dans la foulée, respectivement en 1970, 1975 et 1976.
Nouveau changement de nom : la Nakamura Amusement Machine Manufacturing Company (NAMMCo) voit son destin changer en 1974, lorsque son président négocie l’acquisition de la branche japonaise d’Atari, proche de la faillite. Pour 550 000 dollars (puis 250 000) par an, Namco peut distribuer les jeux du fabricant américain. Loin des 1,2 million de dollars exigés par un Nolan Bushnell aux abois, la somme est largement supérieure aux 50 000 dollars proposés par SEGA. Après des débuts mitigés, l’investissement s’avère extrêmement lucratif pour Namco : le casse-brique Breakout est un immense succès qui incite Nakamura à créer ses propres titres, puis à ouvrir des succursales dans le monde entier pour évangéliser sa marque, finalement baptisée Namco.
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La révolution Pac-Man
Deux ans de recherche, quelques ordinateurs achetés en vrac à NEC et le recrutement d’un designer plus tard, Gee Bee voit le jour en octobre 1978. Conçu par Toru Iwatani, ce mélange de casse-briques et de flipper ne fait pas sensation, mais profite tout de même d’un certain succès au Japon. 10 000 bornes du premier jeu vidéo de Namco trouvent preneurs, incitant l’entreprise à tenter de transformer l’essai. Le parangon du jeu d’arcade s’appelle à l’époque Space Invaders. Le succès du jeu de tir de Taito est tellement retentissant qu’il aurait causé une pénurie de pièces de 100 yens, incitant le gouvernement japonais à en muscler largement la production. Comme il est de coutume à l’époque, chacun y va de son clone dans l’espoir de récupérer un peu de lumière, et Namco ne fera pas exception.
Galaxian, qui sort en 1979, est davantage qu’une simple copie de Space Invaders. C’est l’un des premiers jeux vidéo en couleur, et le premier à profiter de la technologie de tuiles, qui permet d’afficher plusieurs sprites multicolores et même de les faire défiler (scrolling). Galaxian est une prouesse technique qui trouve immédiatement son public, au Japon mais aussi aux États-Unis, où Midway en assure la distribution. 50 000 machines seront commercialisées sur le sol américain. Dans le même temps, une seconde équipe dirigée par Toru Iwatani planche sur un autre projet, plus familial. Le récit de l’origine de sa conception est largement documenté : Puck-Man, renommé Pac-Man en Occident (pour éviter que les bornes vandalisées se transforment en Fuck-Man), retourne une planète jeu vidéo en plein boum à sa sortie en 1980.
Les premiers retours ne sont pourtant pas dithyrambiques, et ne laissent pas présager des 14 milliards de dollars de chiffre d’affaires réalisés, entre 1980 et 2016. Le personnage principal, dont le patron de Namco Masaya Nakamura aurait trouvé le nom lui-même, deviendra la mascotte de l’entreprise et une icône mondiale du jeu vidéo. Tout le monde connaît Pac-Man. Borne la plus populaire, devant Space Invaders au Japon et Asteroids (d’Atari, qui a refusé de distribuer Pac-Man) aux États-Unis, Pac-Man tient notamment son succès de sa popularité auprès de la gent féminine, plus intéressée par ce monstre jaune qui gobe tout sur son passage que les austères joutes militaires plébiscitées par les hommes.
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De l’arcade à la console
Comme la plupart des acteurs influents de l’arcade à l’époque, Namco ne manque pas de remarquer l’intérêt grandissant pour le jeu vidéo à la maison. L’éditeur laisse filer le crash de 1983 avant de s’intéresser de plus près à la première console de salon de Nintendo. Quelques mois d’ingénierie inversée (reverse engineering) permettent au gendre de Masaya Nakamura et son équipe de parvenir à un résultat satisfaisant pour le portage de Galaxian, qui convainc Nintendo de créer son programme de licensing. D’autres entreprises seront, à partir de là, autorisées à sortir officiellement des jeux sur la NES, avec quelques contraintes particulières.
La première bande-originale de jeux vidéo est constituée de reprises orchestrales de titres de Namco (Pac-Man, Dig-Dug, Galaga)
Reconnu pour ses portages de qualité, l’éditeur japonais joue et gagne sur les deux tableaux, l’arcade et la console, ce qui le pousse à investir dans l’innovation voire à se diversifier. Namco est derrière les premières bornes d’arcade à pouvoir être reliées ensemble (Final Lap, 1987), l’imposant shooter sur vérins Metal Hawk (1988) ou encore le jeu de course Winning Run, l’un des premiers à bénéficier de graphismes en 3D polygonale. Tout réussit à Namco, qui envisage un temps de créer sa propre console de jeu pour concurrencer la Mega Drive de SEGA et la Super Nintendo. Hors jeux vidéo, l’entreprise investit dans une chaîne de restaurant sur le déclin et ouvre son propre parc d’attractions.
Les années PlayStation
L’arrivée de la première PlayStation, fin 1994, offre à Namco un nouvel écrin pour ses productions rutilantes. Déjà à l’aise en 3D grâce à l’arcade, la firme adapte ses meilleurs titres sur la machine, comme un pied de nez aux contraintes imposées par SEGA et Nintendo sur ses plateformes. Ridge Racer à la sortie de la console, Tekken quelques mois plus tard : Namco tient son rang, et poursuit en parallèle ses expérimentations arcades avec des propositions innovantes côté gameplay, comme Alpine Racer ou Time Crisis. Le jeu de combat sera même le premier à atteindre le million d’exemplaires vendus sur PSX.
1998 sonne la fin de la récréation. La récession frappe l’ensemble du Japon, plongeant rapidement les comptes de l’éditeur dans le rouge. Namco doit fermer son parc d’attractions fin 2000, se séparer de 250 personnes l’année suivante tout en restructurant l’ensemble de ses actifs. Une gabegie financière qui aura la tête de Masaya Nakamura, après presque un demi siècle de règne sans partage (hormis un intermède de deux ans début 90). Le succès du remuant jeu de rythme Taiko no Tatsujin n’y changera rien : Namco doit évoluer pour ne pas mourir. Refusé par Square Enix en raison de ses résultats financiers, Namco croit voir en SEGA un potentiel repreneur judicieux. Las, ce dernier s’est déjà rapproché du roi du pachinko, Sammy.
BANDAI
L’empereur du jouet est un blessé de guerre
Retour dans le Japon de l’après-guerre. Blessé au combat par un éclat de grenade qui l’a privé de l’usage de son œil droit, Naoharu Yamashina vivote au crochet de son beau-frère, qu’il aide à gérer une entreprise de textile. C’est en discutant avec un voisin qu’il considère l’industrie du jouet, très peu développée à cette époque sur l’archipel. Pauvre, mais déterminé, celui qui a étudié le commerce avant la guerre passe trois ans à étudier le marché avec son épouse, avant de lancer sa petite activité de distribution au sein du grossiste en textile qui l’emploie. Nous sommes en 1947.
Son premier produit maison est un ballon avec une clochette à l’intérieur. Malgré les défauts de conception, le Rythm Ball se vend et appelle de nouvelles créations. Un bombardier américain B-26 en métal, réplique miniature de l’engin utilisé contre le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, ouvre la voie à un segment prometteur : Bandai-ya exportera dans le monde entier ses petites voitures métalliques à bas coût, avant que la fin de la récession japonaise n’invite Yamashina à s’intéresser davantage au marché domestique. En 1963, Naoharu Yamashina a l’idée géniale de créer des figurines à partir d’un manga populaire de l’époque, première bande dessinée à être adaptée en série animée au Japon : Astro Boy.
Ultraman, Power Rangers et surtout Mobile Suit Gundam à partir de 1980 viennent entre autres grossir son catalogue de licences partenaires. À partir de 1983, le succès de la NES de Nintendo incite Bandai à s’intéresser à ce média. Avec des jeux tout d’abord, puis des accessoires comme le tapis Family Trainer Pad qui font une fois encore la réputation de la marque. Rachat du studio de développement Banpresto pour conquérir le monde de l’arcade, production de films et de comédies musicales, lieu pensé pour l’événementiel et nombreux partenariats internationaux : Bandai fait tout pour diversifier ses activités, essuyant en route de cuisants échecs avec ses consoles de jeu maison. La Playdia, destinée aux enfants, ne convainc pas faute de bons jeux et la Pipp!n, conçue avec Apple et sortie en 1996, paie un prix et une concurrence élevés, malgré son concept de console/ordinateur innovant.
Le Tamagotchi qui cache la forêt
Conjugués à une baisse de la natalité au Japon, qui se répercute directement sur les ventes de jouets, ces échecs ponctionnent lourdement les caisses de l’entreprise. Heureusement, une idée simple et géniale vient contrebalancer ces temps moroses : ancienne femme au foyer, la designeuse Aki Maita travaille sur un petit jeu électronique à destination des enfants. Un animal de compagnie numérique que l’on peut nourrir, soigner et dorloter, dont l’impact dépasse largement les cours de récréation. Il s’en vendra plus de 40 millions à travers le monde. Insuffisant pour éponger les quelque 200 millions de dollars perdus avec la Pipp!n, dont seulement 42 000 unités trouveront preneur en deux ans.
Un partenariat judicieux avec Mattel pour toucher l’Amérique du Sud, le lancement de la très populaire franchise Digimon, le franc succès de la console portable WonderSwan — conçue par Gunpei Yokoi, créateur de la Game Boy — et d’autres partenariats judicieux relancent la machine. Au décès de son fondateur Naoharu Yamashina, son fils Makoto prend la relève. Elle sera de courte durée, puisqu’une fusion avortée avec SEGA en 1997 entraîne sa démission immédiate. Les salariés craignent l’organisation très hiérarchique de l’entreprise japonaise. Une divergence de culture d’entreprise qui incite Bandai à faire cavalier seul, ragaillardi par une politique de diversification qui porte ses fruits. C’est dans ce climat plutôt positif que Bandai fusionne avec Namco, en 2005. « Sur le marché intérieur, nous avons fortement besoin de conquérir de nouveaux clients, le nombre d’enfants étant en diminution et les passe-temps se diversifiant » justifie le communiqué conjoint diffusé à l’époque. Point de réarmement démographique en vue au Japon.
Bandai Namco
Un mariage de raison en forme de panier de crabe juridique
C’est en fait Bandai qui fait l’acquisition de Namco pour 175 milliards de yens (environ 1,3 milliard d’euros). Le mariage s’avère particulièrement complexe, les deux entités ayant plusieurs centaines de filiales et succursales aux quatre coins du monde, en plus d’activités parfois similaires ou complémentaires, parfois complètement différentes. En dehors de la fusion des activités liées au jeu vidéo, chacun poursuit son activité dans son coin et il faudra plusieurs années pour réorganiser correctement l’ensemble. Côté gaming, l’union offre de belles synergies : grâce à Bandai, Namco accède plus facilement à un catalogue varié de licences japonaises à succès comme Naruto, Dragon Ball, Idolmaster, Gundam ou Digimon.
Quelques sorties remarquables émaillent les florissantes années 2010 de Namco Bandai : le studio indépendant From Software enchaîne les succès entre les Dark Souls, Bloodborne et Elden Ring dont les 20 millions d’exemplaires vendus en 2022 le placent dans le top 3 de l’éditeur, derrière l’intouchable Pac-Man et le Tamagotchi. Les comptes sont dans le vert, permettant à Namco Bandai d’envisager l’avenir avec sérénité, en y injectant même un grain de folie avec le projet transmédia ambitieux Unknown 9, chapeauté par le studio canadien Reflector Entertainment, acquis en octobre 2020.
Conclusion
Très différents dans leur manière d’envisager leurs secteurs d’activité respectifs, Namco et Bandai partagent la même passion du jeu, en plus d’un cheminement comparable. De petites structures humbles bâties dans la douleur à multinationales tentaculaires, elles ont chacune su se tracer un chemin vers la réussite en terres japonaises, mais également dans le reste du monde. Namco Bandai n’est pas le premier éditeur de jeux vidéo japonais pour rien : entre grosses licences lucratives (Dragon Ball, Naruto), prises de risques payantes (Elden Ring) et petits projets indépendants bien conçus (Little Nightmares), l’éditeur se forge un catalogue riche, varié et respectueux de son héritage. Gageons que cette même philosophie lui permettra de ne pas se casser les dents avec son projet transmédia, ou sa volonté d’exploiter le potentiel économique du jeu service.
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