Qui est Nexon, le pionnier du MMORPG qui a conquis l’Asie ?
Le premier MMO de l’histoire ?
On cite beaucoup Ultima Online (1997) – ou encore Meridian 59 (septembre 96) – comme étant le premier MMORPG de l’histoire. Il faut dire que c’est Richard Garriott, le papa de la série Ultima, qui a imaginé le nom Massively Multiplayer Online Role Playing Game, dérivé du genre Multi User Dungeon, jeu de rôle connecté (très souvent textuel) qui fait le bonheur des geeks universitaires depuis la fin des années 70. En vérité, c’est plutôt du côté de la Corée du Sud qu’il faut chercher le pionnier des Meuporg avec Nexus: The Kingdom of the Winds, qui voit le jour le 5 avril 1996 au pays du Matin Calme.
Fondé fin 1994 par Kim Jung-ju, le studio Nexon est derrière cette adaptation libre d’un pan de la mythologie coréenne lié aux trois royaumes, et s’appuie également sur le travail de l’autrice de bande dessinée Kim Jin. Pourquoi ce titre est-il inconnu chez nous ? Il n’est jamais officiellement sorti en Europe, tandis que la version américaine, malgré une première beta dès 1997, n’est jamais vraiment parvenue à sortir de l’ombre des piliers du genre tels que Ultima Online, Everquest ou encore Lineage, de l’éditeur coréen concurrent NCSoft.
Toujours en ligne aujourd’hui, celui que l’on appelle Baram en Corée est de fait le plus vieux MMORPG encore en activité. Mais qui est derrière ce monument méconnu de l’industrie du jeu vidéo ? Kim Jung-ju a 26 ans lorsqu’il crée Nexon. Passé par la Seoul National University pour un diplôme en Science et Ingénierie, puis par le Korea Advanced Institute of Science and Technology pour un Master en Ingienerie Electrique et Science de l’informatique, il termine son brillant cursus universitaire par un MFA (Master of Fine Art) à la Korea National University of Arts. Ingénieur, informaticien et artiste : on ignore si le séoulite d’origine avait le projet Nexon en tête au moment de décider de son cursus scolaire, mais il a en tout cas coché un certain nombre de cases importantes pour y parvenir.
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Presque une révolution par jeu
Des premières années de Nexon et du développement de son projet initial, on sait peu de choses. Les employés de la société non plus, puisqu’il leur a fallu avoir recours à la rétro-ingénierie sur une vieille démo de Nexus, trouvée sur le CD d’un magazine de l’époque, pour tenter de reconstruire le code initial du jeu. Ce que l’on sait en revanche, c’est que Kim Jung-ju n’était pas du genre à faire appel à l’argent des autres pour consolider son activité. Aucune levée de fonds pour Nexon, dont la croissance organique suffit à développer de nouveaux titres, notamment par le biais de sa filiale américaine Kru Interactive créée dès 1997 : Dark Ages: Online Roleplaying et QuizQuiz sortiront en 1999, avant l’arrivée de l’étonnant Shattered Galaxy en 2001. Des titres qui sont systématiquement à l’avant-garde de la création vidéoludique :
- Dark Ages est l’un des tout premiers MMO free-to-play. Son modèle économique, qui se base sur les microtransactions, révèle le goût prononcé de certains territoires asiatiques pour cette façon de concevoir et monétiser le jeu vidéo.
- QuizQuiz est une plateforme sociale et casual uniquement en ligne qui réunit les joueurs et joueuses autour de différents mini-jeux de type quiz. Il est abandonné au stade de beta aux États-Unis, faute de joueurs, pour se concentrer sur les territoires asiatiques où elle connaît un grand succès, particulièrement en Corée du Sud.
- Shattered Galaxy est le tout premier jeu de stratégie en temps réel (RTS) jouable massivement en ligne !
Nexon/Kru adopte, avant même les années 2000, un modus operandi très en vogue dans les années 2010 sur mobile, chez SuperCell par exemple : adapter ses produits aux différents marchés, ne pas hésiter à abandonner rapidement quelque chose qui ne fonctionne pas, sortir un jeu gratuitement pour s’assurer une base utilisateur suffisante pour tester correctement un concept… Pas encore cotée en bourse et sans nom ronflant pour faire grand bruit en injectant du capital, la société poursuit son bonhomme de chemin, investissant ses bénéfices jusqu’à rencontrer de nouveaux succès retentissants.
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Des machines à cash qui changent tout
Ceux-ci ne tarderont pas à venir. En 2003 sort en effet MapleStory, un nouveau MMORPG 2D développé par le studio indépendant Wizet pour le compte de plusieurs éditeurs. Le principal en est Nexon, qui opère notamment le jeu en Corée, au Japon, en Amérique du Nord et en Europe. Difficile d’échapper à la litanie de chiffres lorsque l’on évoque MapleStory, devenu l’un des piliers financiers de Nexon en plus de 20 ans d’exploitation : 180 millions d’utilisateurs enregistrés en 2020, plus de 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires, 25 épisodes d’adaptation animée, 1 jeu de carte à collectionner, plusieurs suites, reboot et spin-offs ainsi que deux adaptations sur mobile, en plus d’un jeu Facebook abandonné au bout de deux ans.
Le jeu qui, d’après Forbes, « offrait une échappatoire à la rigueur de la vie d’écolier et aux pressions d’un système éducatif hautement compétitif » a inauguré un cercle vicieux que d’autres entreprises de l’industrie ont répliqué depuis. Lorsqu’un jeu est extrêmement populaire, il s’agit de le monétiser de manière agressive pour en tirer un maximum de profits, quitte à s’attirer les foudres d’une partie de son public. Lorsque le jeu devient trop impopulaire, on relance une version semblable à l’originale (à la manière de World of Warcraft Classic, sorti en 2019 par Blizzard Entertainment) pour faire vibrer la fibre nostalgique de sa communauté. En cas de succès de l’initiative, on peut alors recommencer à monétiser durement le jeu…
C’est ce qui s’est passé avec MapleLand, version Vanilla de MapleStory sorti en 2007… avant d’accueillir des mécaniques Pay-To-Win – les joueurs peuvent payer pour avoir un avantage sur ceux qui ne paient pas – en 2010. Nexon tire largement profit de l’initiative, présentée au départ comme un cadeau fait à la communauté. Cynique, mais efficace, surtout qu’il suffit ensuite de déclarer que « les cadres, qui sont responsables de dépenser de l’argent et d’investir des capitaux dans l’industrie des jeux vidéo, ont rendu un mauvais service à l’industrie en privilégiant l’argent plutôt que le cœur » pour s’acheter une vertu et recommencer allégrement par la suite. Malin.
Le phénomène Dungeon Fighter
Autre succès immense relativement confidentiel dans nos contrées, le jeu d’action Dungeon & Fighter est tout simplement l’un des titres les plus joués au monde. Avec une base de 850 millions de personnes à travers le monde et plus de 22 milliards de dollars de chiffre d’affaires en près de vingt ans, il dépasse Candy Crush, Pac Man ou encore La Reine des Neiges au classement des licences média les plus lucratives de l’histoire. Qu’est-ce qui peut expliquer le succès d’un titre que l’on (mé)connaît sous le nom de Dungeon Fighter Online chez nous ? Une carrière ahurissante en Chine sous l’aile de Tencent, l’incontournable conglomérat chinois qui opère la licence sur l’Empire du Milieu depuis sa sortie initiale en 2005.
Le talent de Nexon est donc d’abord de créer des univers populaires que l’éditeur peut exploiter pendant plusieurs années. Un coup de force qu’il reproduira ensuite avec KartRider (2004) avant de récupérer les droits d’adaptation sur certains territoires asiatiques de licences aussi prestigieuses que FIFA, Counter Strike ou encore Dynasty Warriors. Electronic Arts, Valve et Koei sont attirés par le savoir-faire de l’éditeur coréen, qui règne en maître sur le sud-est asiatique et transforme tout ce qu’il touche en or à partir de 2005. Pour passer la seconde, Kim Jung-ju déménage le siège de sa société au Japon pour son entrée à la bourse de Tokyo : 1,17 milliard de dollars sont récupérés en quelques heures, permettant à Nexon de se lancer dans une grande vague d’acquisitions lui permettant d’asseoir sa domination locale et viser un développement plus conséquent dans le reste du monde.
C’est dans ce contexte qu’intervient la prise de capital de Nexon au sein de NCSoft, son concurrent historique, à hauteur de 686,6 millions de dollars pour 14,7 % de l’éditeur du MMORPG Guild Wars. Si les synergies entre les deux entités sont évidentes, l’entente est plus floue avec un gros client comme Electronic Arts : une rumeur court en 2012 sur la possibilité d’un rachat du géant américain par Kim Jung-ju et son entreprise. Infondée, elle témoigne néanmoins de l’appétit de Nexon qui cherche à s’implanter durablement en Occident après avoir conquis la totalité du continent asiatique.
Une affaire qui roule
Par la suite, Nexon optimise son système déjà bien rodé, entre développement de nouvelles licences, entretien des mondes connectés existants et partenariats d’envergure avec des acteurs majeurs du monde entier. Le fondateur de Nexon, qui possède toujours plus de la moitié des parts de l’entreprise, est désormais un milliardaire discret à la tête d’une holding – NXC, créée en 2006 – qui investit tous azimuts. Technologie, éducation, santé, cryptomonnaie et même la place de marché Bricklink, dédiée aux briques de LEGO : Kim
En 2016, il est rattrapé par une vieille affaire de corruption datant de 2005 : il a soudoyé un procureur coréen, ami depuis la fac, à hauteur de 800 000 dollars, en plus de frais de déplacement et même du leasing d’une voiture. Plus grave encore, il est soupçonné de malversations financières, ce qui le pousse à quitter le directoire de Nexon tout en gardant la tête de la holding, NXC. En dehors d’excuses publiques, il aura entre temps largement tenté de se racheter avec de nombreuses initiatives caritatives comme la Nexon Fondation, qui vient en aide aux enfants défavorisés.
Malgré ces déboires, Nexon enregistre des chiffres records en 2017 avec 2,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires, dont 518 millions de bénéfices nets. L’entreprise a beau être sanctionnée pour son usage abusif des loot boxes et autres pratiques douteuses, rien ne semble pouvoir l’arrêter. En 2019, Kim Jung-ju se déclare pourtant prêt à céder ses parts de Nexon et si des géants tels que Tencent, Amazon, Disney ou encore Electronic Arts paraissent au départ intéressés, personne ne fait finalement d’offre satisfaisante pour le fondateur, qui demande tout de même plus de 9 milliards de dollars. Sujet à de graves crises de dépression, celui qui est toujours en 2022 la troisième fortune de Corée trouve la mort, dans des circonstances qui ne seront jamais détaillées par ses proches.
Conclusion
Orphelin de son créateur, Nexon peut heureusement tourner cette page douloureuse dans les meilleures conditions financières possibles. En 2020, avec 4,8 milliards de dollars en banque, l’entreprise se dit prête à investir massivement dans le secteur du divertissement. Mais dans une industrie plus prompte à licencier qu’à imaginer le jeu vidéo de demain, le géant coréen a semble-t-il mis un frein, sans doute temporaire, à ses envies de grandeur. En attendant, Nexon est assis sur une mine d’or, de cash comme de licences lucratives dont l’engouement en Asie n’a jamais faibli jusqu’alors. Sans doute suffisant pour une entreprise qui mise avant tout sur elle-même pour tirer son épingle du jeu.
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