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Esport

Esport 2025 ? Prospective du secteur selon ses acteurs

Secteur en pleine ébullition, l'esport va faire face à de nombreux défis dans les années à venir. Tomorrow Lab a confié à Yoann Wezemael, Directeur Général aAa Gaming, un travail de fond de prospective pour déterminer les tendances de l'esport en 2025.
Conférence sur l'esport
Contenu mis à jour le

yoann wezemaelYoann Wezemael. Le sport électronique et le jeu des prédictions sont des activités qui se marient très bien, et ce depuis la fin des années 90, date à laquelle cette discipline vidéo-ludique est apparue. Quels seront les jeux en vogue dans cinq ans ? L’audience aura-t-elle augmenté ? Qu’en sera-t-il de la santé financière des grosses ou petites écuries ? Ces questions, et tant d’autres, qui alimentent les débats depuis deux décennies, sont toujours présentes dans l’esprit des acteurs du monde esportif. Aujourd’hui, nous allons prendre nous aussi part au jeu du « que se passera-t-il dans le futur ? ». Billets achetés. Valises bouclées. Embarquons dans le vol 2025.

Sommaire :

 

Les titres seront-ils les mêmes ?

Il est intéressant de constater qu’au fil des années, les jeux pratiqués dans le monde du progaming ont pour certains évolué, d’autres disparu. Si nous retrouvons depuis une éternité des titres comme Counter-Strike ou League of Legends, dans des versions qui évoluent avec leur temps, la communauté découvre aussi des noms qui s’installent très rapidement comme des valeurs sûres (Fortnite, dernier en date).

Counter-Strike a su évoluer avec son temps.

 

Turnover : l’exemple PUBG

Ces prochaines années, il ne serait pas étonnant qu’un noyau dur de titres s’installe pour de bon, sur le long terme, et se partage les plus grosses parts du gâteau sans laisser de place aux petits nouveaux. Le turnover qui a notamment mis PUBG sur un piédestal avant de le jeter du huitième étage quelques mois plus tard pourrait bien ralentir et permettre à l’esport de voir s’installer une certaine stabilité dans les jeux pratiqués par l’élite et donc, par conséquent, un équilibre professionnel à tous les niveaux.

Joueurs, équipes ou encore organisateurs de tournois ont été nombreux à souffrir (ou à profiter) de l’évolution des modes et de l’apparition et disparition de titres praticables dans ce microcosme. Mais il est indéniable que les pans les plus solides de l’esport moderne ont été bâtis sur des jeux qui ont perduré dans le temps. Et ça, les acteurs l’ont probablement déjà compris. La stabilité fait la force.

Graphique usages PUBG

Selon le site Newzoo, PUBG était le 6ème jeu le plus joué au monde sur PC à l’été 2017.

 

Les années RIOT Games ?

Riot Games a réussi un coup de maître avec son MOBA League of Legends et va tenter d’en faire de même dans d’autres domaines avec de nombreux jeux qu’il a annoncés en octobre. Si le studio parvient à produire des titres de qualité et à mettre en place un circuit professionnel comme il l’a fait sur LoL, il pourrait bien devenir le roi incontesté du sport électronique d’ici 2025. De quoi inquiéter certains studios comme Blizzard ?

Remy ChansonC’est la question que nous avons posée à Rémy « Llewellys » Chanson, directeur de la fameuse Armateam : « Je ne pense pas que Blizzard se fasse évincer du paysage, mais c’est sûr que la volonté affichée de Riot Games de développer d’autres jeux que League of Legends dont certains sur des genres de jeux emblématiques de Blizzard, va forcément réduire la popularité du studio d’Irvine. Riot a su montrer avec League of Legends, qu’il était capable de développer des modèles gratuits, extrêmement appréciés des joueurs, avec un suivi d’équilibrage et de nouveautés fréquents (modèle qui lui a permis d’obtenir l’hégémonie sur le MOBA) » nous confie-t-il.

Dorian ConstanzoDorian Costanzo, co-président du site Vakarm.net, se veut lui assez rassurant : « Riot a beau avoir une expertise et un budget potentiel conséquent grâce à sa maison mère, ils ne sont pas seuls dans ce cas. Activision-Blizzzard, Ubisoft et Nintendo par exemple sont aussi des mastodontes du secteur, ce serait étonnant qu’un seul éditeur réussisse à avoir la main mise sur un marché en pleine expansion. »

Benjamin VaneseDe son côté, le rédacteur en chef adjoint du site team-aAa.com, Benjamin « Flamm » Vanese, estime que « se projeter dans l’avenir et dire que Riot Games va continuer de dominer l’esport dans les 5/10 prochaines années reste encore du domaine de la spéculation et va dépendre de la force de réaction des autres acteurs du milieu comme Blizzard ou Valve. Mais le choix fait par Riot de sortir un catalogue de jeux issu de son illustre univers League of Legends, des jeux divers et variés susceptibles d’être compatible esport qui vont toucher la communauté des TCG, des jeux de combat et du fastFPS, devrait assurer son ascendant pour cette prochaine décennie. »

Legends of Runeterra, le nouveau rival de Hearthstone.

 

Les organisateurs de compétitions esport doivent et devront réagir

Riot ne deviendra peut-être pas le roi incontesté du milieu, mais possiblement l’un des ennemis jurés des organisateurs d’événements : il est de plus en plus courant de voir les éditeurs orchestrer eux-mêmes leurs compétitions (Riot avec LoL, Epic Games avec Fortnite…), ne laissant quasiment rien aux entités habituées à gérer ces événements (ESL, ESWC, DreamHack…).

Samy Ouerfelli« Cette tendance n’est pas encore présente sur tous les jeux, mais ce pourrait bien être le cas dans quelques années, les promoteurs devront alors trouver un moyen de rebondir (ou se faire racheter par les éditeurs) pour ne pas disparaître » affirme Samy Ouerfelli, acteur incontournable du milieu depuis vingt ans et aujourd’hui responsable du département New Business de l’agence allemande Freaks 4U.

Les ligues franchisées sont de plus en plus légion, et lorsque l’on demande à Dorian Costanzo s’il imagine un avenir avec une accélération de cette tendance, il nous répond que « oui, si l’on regarde l’état de la scène actuelle, hormis Dota 2 et CS:GO, on est déjà dans un monde de ligues franchisées. L’année 2020 sera d’ailleurs charnière avec le développement de ligues où les clubs seront coactionnaires. Officiellement, ce ne sont pas des franchises mais officieusement on s’en rapproche. Je pense que c’est une sorte de transition douce. » Pour aller plus loin vous pouvez lire l’article de Tony Rubio sur l’état de l’Art des franchises dans l’esport.

Bora « YellOwStaR » KimBora « YellOwStaR » Kim, l’un des plus grands joueurs que la France ait comptés, admet que le système de franchises est recherché « par les grandes structures afin d’avoir une stabilité économique et de s’assurer de garder leur place dans les compétitions, c’est important pour les investisseurs. Mais une recherche constante de développement de la scène est nécessaire pour que le système tienne. La scène va continuer de se professionnaliser sur différents jeux, il faudra gravir les échelons pour trouver sa place. »

 

Une forte audience en devenir ou simple effet de mode ?

Pendant longtemps, l’audience du sport électronique a relativement stagné. Mais depuis l’avènement du streaming et la sortie de plusieurs jeux à succès, celle-ci a explosé au point de rivaliser avec certains événements sportifs (en restant cependant toujours loin de l’intouchable football).

Paul ArrivéPaul Arrivé, journaliste L’Equipe, n’a aucun doute sur le fait qu’elle continuera de grandir : « On le voit cette année avec Fortnite, League of Legends ou CSGO en France : l’intérêt croît et avec un monde qui se digitalise, des nouvelles générations baignées dans le jeu vidéo, je ne vois pas comment les choses pourraient prendre le chemin inverse. » Le jeu vidéo compétitif s’ancre petit à petit dans la culture populaire et, sauf accident improbable, cette tendance ne devrait pas s’inverser.

Stats image des worlds

League of Legends a battu des records d’audience cette année.

L’intérêt des grands médias est croissant, « il y a une volonté d’informer, de se placer sur le créneau et d’aller au-delà des questions basiques » nous confie Paul Arrivé, qui poursuit en mentionnant l’importance de la finale des Worlds de LoL qui a eu lieu cet automne en France et qui a été extrêmement suivie dans l’Hexagone : « Elle donne une indication intéressante sur la couverture que pourrait recevoir à terme l’esport de la part des grands médias ». De son côté, Samy Ouerfelli met en lumière la force de frappe du secteur dans de tels moments : « Les Worlds de LoL, par exemple, remplissent des salles mythiques et permettent à l’esport d’être comparé à des événements connus du grand public par les médias traditionnels. » De quoi gagner en crédit.

Certains puristes s’inquiètent en revanche de la croissance de « l’esportainment », l’esport fun, un monde où des personnalités s’affrontent sans réel enjeu sportif et qui pourrait faire de l’ombre aux compétitions classiques. Mais Dorian Costanzo se veut rassurant : « Les communautés voudront toujours savoir qui est le meilleur joueur sur leur jeu et un circuit de compétition est la seule façon de le découvrir. C’est parce que les gens savent à quoi ressemble le très haut niveau qu’ils peuvent apprécier l’esportainment. Les deux mondes sont complémentaires ».

Les événements tels que le Gotaga On Tour ont trouvé leur public.

 

Attention au danger du sur-sponsoring…

L’argent est l’un des éléments indispensables au développement du sport électronique, mais une trop forte concupiscence peut représenter un réel danger pour la discipline comme nous l’indique Samy : « Il va être important de créer des opérations commerciales intelligentes, qui ne donnent pas l’impression aux spectateurs d’être pris pour de simples porte-monnaie au risque de créer un dégoût et une lassitude. »

L’intégration de contenus sponsorisés au sein même des jeux est une pratique qui existe déjà depuis plus de dix ans, mais la croissance de l’audience dans les années à venir pourrait facilement amener les éditeurs et organisateurs de tournois à en augmenter le nombre, à en vouloir toujours plus. Un juste milieu entre la génération maximisée de revenus et la saturation du spectateur devra être trouvé, sans quoi ce dernier pourrait bien finir par aller voir ailleurs.

Map warcraft 3

En 2008 notamment, la PGL intégrait les logos de ses sponsors dans les maps de ses tournois.

Un point qui sera intéressant à suivre sera l’arrivée de nouvelles marques, des entités nonendémiques et pour certaines très luxueuses (comme Louis Vuitton cette année, aux Worlds de League of Legends). « Mercedes, Audi ou encore BMW se positionnent sur le marché de l’esport pour séduire les joueurs qui d’ici quelques années auront pour certains les moyens de s’offrir leurs véhicules » selon Samy. « D’autres marques, pourront aussi utiliser l’esport pour mettre un pied dans le marché asiatique ou rajeunir leur image. Elles ne visent pas forcément le court terme, ça peut être une stratégie de positionnement » continue-t-il.

 

Un soutien réel des autorités

Les fans de sport électronique se sont toujours plaints du manque de soutien provenant des hautes instances françaises, mais ça, c’était avant. Fin octobre, le ministère de l’économie et des finances et celui de l’action et des comptes publics ont dévoilé une stratégie long terme pour développer l’esport dans l’Hexagone et devenir le leader européen d’ici 2025. Ce plan devrait plus que changer la donne et offrir un joli coup de pouce au marché ces prochaines années. Les organisateurs de tournoi, les écoles ou encore les équipes trouveront davantage de soutien provenant des autorités françaises.

 

De très grosses écuries et… les autres

L’actualité économique du marché est très vive ces derniers mois, quelques équipes ont annoncé d’importantes levées de fonds (comme Vitality, début novembre, qui a officialisé une levée de 14 millions d’euros, un an après une première de 20 millions d’euros) et s’éloignent petit à petit du monde lambda du sport électronique. Les observateurs sont majoritairement d’accord sur ce point : d’ici quelques années, certains clubs se partageront les tout meilleurs joueurs, les plus gros investisseurs et les meilleurs sponsors tandis que les autres écuries ne récupéreront que les miettes. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Difficile de répondre aujourd’hui car si un quasi-monopole des grosses structures pourrait nuire à la variété du haut de panier et peut-être au spectacle, il pourrait en revanche créer une stabilité sur le long terme, solidifier l’économie du milieu et en faire bénéficier les écuries de tout niveau.

Terence SoOn TarlierEt cela rassurerait bon nombre d’acteurs, notamment les joueurs qui, selon Terence « SoOn » Tarlier, membre de l’Equipe de France Overwatch et de Paris Eternal, « ne peuvent ressentir une constante sécurité de l’emploi. Il faut toujours être performant et plus les années vont passer plus le nombre de joueurs sera important. La compétition va être robuste. » Plus d’équipes professionnelles, même modestes, leur offrirait plus de places.

Pour en revenir aux levées de fonds, sujet très à la mode ces derniers mois, il faut reconnaître qu’elles falsifient quelque peu la viabilité économique des grandes équipes. Rémy « Llewellys » Chanson nous en dit plus : « Le modèle de club pro esport tel qu’il est aujourd’hui, ne peut atteindre le seuil de rentabilité. Il est porté actuellement par les levées de fond et une recherche coûte que coûte de l’hyper-croissance. Mais même en s’accaparant la majorité des sponsors, il ne reste pas viable. Il faudra attendre l’extinction des liquidités apportées par les levées de fonds pour savoir comment seront réellement organisées les grosses écuries. Il est difficile d’envisager le modèle du club esport du futur, mais je pense qu’il sera soit adossé à une marque dont il prendra le nom et pour qui le club esport sera intrinsèquement déficitaire, en tant que dépense marketing, comme Team LDLC ou ASUS ROG, en France, soit un club qui trouvera une viabilité via un enracinement local et une monétisation provenant du territoire (subvention, billetterie d’une arène esport, sponsor de proximité, …). » Dans la continuité nous vous invitons à lire le papier de Thomas Gavache « Equipes esport : en route vers la rentabilité ».

Stade esport

En Chine, des stades dédiés à l’esport sortent de terre (ici, le Zhongxian E-Sports Stadium) pour développer l’économie du marché.

 

Et le monde amateur dans tout ça ?

Dans l’univers du sport, le monde amateur a une place importantissime, notamment au niveau de la formation des jeunes. Dans l’esport, la situation est différente : les clubs amateurs sont snobés par les joueurs prometteurs qui rêvent très vite de vivre de leur passion. La sonnette d’alarme avait déjà été tirée en 2018 par le journal Libération, mais peu de choses ont évolué depuis.

Nicolas BesombesNicolas Besombes, vice-président de l’association France Esport et chercheur en sociologie du sport, pointe du doigt la place prépondérante qu’occupe l’argent dans ce domaine : « Il est trop valorisé dans l’esport, il est au centre de tout. C’est le principal argument de communication du sport électronique, on le voit par exemple avec Dota 2 et Fortnite dont les coupes du monde offrent des millions de dollars à leurs vainqueurs. Valve et Epic Games, les éditeurs de ces deux titres, appuient leur communication sur le montant de ces cashprizes. » De quoi en mettre plein les yeux aux jeunes pousses.

L’esport amateur va devoir compter sur d’autres entités pour se développer ces prochaines années, et il semblerait que les collectivités territoriales puissent tenir ce rôle, du moins en partie. « De plus en plus de villes souhaitent organiser leur événement esport. Nice a failli récupérer la DreamHack tourangelle cette année et d’autres métropoles et petites communes s’activent pour se positionner dans le domaine. « Elles ont compris que c’était un moyen efficace de s’adresser aux jeunes » explique Nicolas Besombes. De tels événements permettent aux joueurs locaux de prendre part à des tournois de qualité et par la même occasion de représenter leurs équipes. Ces dernières, « qui sont pour la plupart des associations de loi 1901, ont de nos jours quasiment toutes tendance à vouloir évoluer en structures professionnelles » continue Nicolas. C’est une chose qui devra changer à terme si nous souhaitons trouver un équilibre entre monde amateur et monde pro.

Gamers Assembly

La Gamers Assembly est soutenue par la ville de Poitiers depuis une vingtaine d’années (crédits photo : Julien Kozera / FuturoLAN).

Il sera important pour l’esport français que le tissu associatif se consolide encore davantage ces prochaines années avec le soutien des collectivités et l’activité des associations déjà existantes (FuturoLAN à Poitiers ou la Lyon Esport sont de très bons exemples), sans quoi le secteur risque de manquer grandement de passionnés actifs et impliqués, qui le font vivre, comme il en existe dans tous les sports classiques.

 

Conclusion

En cherchant à imaginer ce à quoi pourrait ressembler l’esport en 2025, il est facile de s’apercevoir que des dangers existent. Mais il est aussi clair que l’avenir s’annonce plus que doré pour cette discipline en plein développement et qu’il faudrait plusieurs erreurs de plusieurs acteurs pour que le tout s’écroule. Attention cependant à une chose : ne pas tomber dans le piège de la bulle spéculative, monter trop haut trop vite a déjà brulé des ailes.

Même si le système est loin d’être parfait et que d’importantes lacunes doivent être comblées, Riot Games a montré son savoir-faire avec la scène professionnelle League of Legends et a également prouvé qu’ils (les Rioters) possèdent une très bonne vision de ce à quoi l’esport doit et devra ressembler, adaptant son produit en fonction de la région et du public. 10 ans après la sortie de League of Legends, Riot a enfin donné une vraie signification au S de Games, un pari risqué sur la durée, mais qui va sûrement lui assurer une des meilleures pérennités dans le secteur.

 

Yoann Wezemael est le directeur général de aAa Gaming (sitetwitter), un acteur historique de l’esport en France. Vous pouvez le suivre sur twitter ou sur Linkedin.

 

Nous vous invitons à continuer votre lecture avec la sélection des 50 français qui feront l’esport en 2020.

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